🍻 Peut On Soutenir Que La Verité N Existe Pas
Eneffet, nous savons que toutes les vérités sont potentiellement dangereuses. La vérité, généralement, dérange, elle bouleverse les habitudes de pensée, les croyances rassurantes, l’ordre établi. Pensons par exemple à l’avènement du christianisme perçu comme une menace pour Rome. Pensons aux artistes :poètes, peintres
17fĂ©vr. 2018 - L’Episode que vous vous apprĂŞtez Ă dĂ©couvrir a pour but de vous aider Ă vous RAPPROCHER de votre RĂ©ussite ABSOLUE, SANS UTOPIE, en rĂ©pondant SPECIFIQUEMENT Ă l’un de vos besoins ou envies actuel(le), en vous invitant Ă Penser et Ă
Maisdouchez bien vite vos espoirs en la matière et gardez en tête que personne ne détient jamais totalement la vérité. Vous gagnerez du temps pour mieux apprendre à penser par vous-même. Vous devez aussi comprendre que beaucoup de personnes qui passent leur journée à vouloir se faire écouter, à “transmettre” n’ont pas toujours
Peuton hair la raison? :rolleyes: Peut-on soutenir : " A chacun sa vérité?" :rolleyes: L'obéissance n'est pas nécessairement esclavage, SPINOZA. :sniff Jeux qui pourront m'aider :rolleyes: L'obéissance n'est pas nécessairement esclavage, SPINOZA. :sniff Jeux qui pourront m'aider
Unmonde d’illusions, où nous allons donner la clé de notre futur à des gens qui ne comprennent même pas leur présent. Un monde où l’on préfère la sécurité à la liberté. Un monde où l’on ne comprend plus, même le nez dessus, que cette Liberté dont on nous gave à étouffer est la réponse de circonstances d’une société qui a perdu tout espoir de bon sens et d’Humanité.
Lavérité n'existe pas La vérité n'existe pas La vérité n'existe pas La vérité n'existe pas 19 réponses / Dernier post : 07/10/2021 à 03:11 . Martindale. 05/10/2021 à 17:00. Ok mais le problème chez toi vient d'une mauvaise réaction aux joints (et des psychoses qui en découlent). Peut-être aussi que les joints ont provoqué un syndrome amotivationnel et/ou des
Direla vérité à l’un et la refuser à d’autres est la porte ouverte à une absence totale de vérité dans nos échanges. D’autre part, la vérité n’est ni bonne, ni mauvaise en elle-même. C’est ce qu’on en fait et notre manière de la recevoir qui peuvent l’être. Au-delà de ces considérations quotidiennes, dire la
Certesce quelque chose n'est pas nommé, peut-être parce que c'est « quelque chose que nous ne connaissons pas «, peut être même c'est quelque chose d'innommable. Car peut-on donner un nom au vouloir ? D'où l'apologie brève que NIETZSCHE fait de la critique. Lorsqu'elle n'est pas liée à l'activité de la raison, elle est bonne, parce qu'elle nous permet de pressentir qu'il y
Lepouvoir et le mensonge. On attribue à Joseph Goebbels la phrase “un mensonge répété mille fois se transforme en vérité”. Il n’a pas été prouvé que cette citation vient bien de lui, mais il s’agit quand même d’une bonne synthèse de ce que ce ministre chargé de la propagande a fait pendant la Seconde Guerre Mondiale.
PZQe. RĂ©sumĂ© Index Plan Texte Bibliographie Notes Citation Auteur RĂ©sumĂ© La rĂ©flexion spinoziste sur la vĂ©ritĂ© dĂ©gage deux propriĂ©tĂ©s de l’idĂ©e vraie – l’adaequatio et la convenientia – dont l’articulation exacte pose quelques difficultĂ©s d’interprĂ©tation. Le problème principal consiste Ă savoir si ces deux propriĂ©tĂ©s renvoient Ă deux thĂ©ories de la vĂ©ritĂ© qui s’opposent vĂ©ritĂ©-cohĂ©rence et vĂ©ritĂ©-correspondance ou Ă deux aspects qui se complètent d’une façon harmonieuse dans une seule conception de la vĂ©ritĂ©. L’objectif de cet article est de prĂ©senter quelques remarques qui soutiennent la seconde option et Ă©clairent l’originalitĂ© de la conception spinoziste de la vĂ©ritĂ©. Haut de page EntrĂ©es d’index Haut de page Texte intĂ©gral 1Dans cet article, je voudrais prĂ©senter quelques remarques sur le problème de la vĂ©ritĂ© chez Spinoza. NĂ©anmoins, il faut d’abord prĂ©ciser que sous la rubrique problème de la vĂ©ritĂ© », il se trouve en rĂ©alitĂ© un ensemble de questions distinctes bien qu’essentiellement liĂ©es entre elles. Par problème de la vĂ©ritĂ© » on doit d’abord comprendre le problème qui porte sur la dĂ©termination de la nature ou essence de la vĂ©ritĂ©. Il s’agit de rĂ©pondre Ă la question 1 sur la signification du terme vĂ©ritĂ© ». Ensuite, il s’agit de poser les questions qui portent sur les conditions de possibilitĂ© de la vĂ©ritĂ©, c’est-Ă -dire de rĂ©pondre aux questions suivantes 2 Etant donnĂ©e la dĂ©finition de la vĂ©ritĂ©, quelles conditions gĂ©nĂ©rales, du point de vue de l’absolu, doivent ĂŞtre remplies pour qu’il y ait des idĂ©es vraies ? 3 Ensuite, quelles conditions particulières doivent ĂŞtre remplies pour que nous, du point de vue de l’âme humaine, ayons des idĂ©es vraies ? 4 Finalement, quelles conditions doivent ĂŞtre remplies pour que nous sachions que nous avons des idĂ©es vraies, c’est-Ă -dire pour que nous puissions reconnaĂ®tre les idĂ©es vraies et les distinguer de celles qui sont fausses ? C’est le problème du critère de vĂ©ritĂ©. 2L’ordre des ces questions n’est pas fortuit. En effet, il semble bien que pour rĂ©pondre aux questions 2, 3 et 4, il nous faut d’abord rĂ©pondre Ă celle qui porte sur la nature de la vĂ©ritĂ©, puisque c’est cette rĂ©ponse qui nous permettra de dĂ©terminer le sens prĂ©cis Ă apporter aux mots vrai » et vĂ©ritĂ© » prĂ©sents dans ces questions. 3NĂ©anmoins, la liaison entre elles, surtout entre la première et la dernière, n’est pas dĂ©pourvue d’une certaine tension interne. Selon certains philosophes, par exemple Russell et Popper, nous devons distinguer soigneusement l’investigation qui porte sur la dĂ©finition de la vĂ©ritĂ© de celle qui concerne le critère de vĂ©ritĂ©, et nous ne devons pas espĂ©rer que cette dĂ©finition nous apporte un critère pour reconnaĂ®tre la vĂ©ritĂ© d’un jugement donnĂ©. Selon eux, la première question est complètement indĂ©pendante de la dernière. D’autres, par exemple les pragmatistes et Dummet, soutiennent que toute recherche sur le concept de vĂ©ritĂ© resterait vide si elle n’était pas susceptible de nous montrer comment nous pouvons reconnaĂ®tre la vĂ©ritĂ© d’un jugement donnĂ©. Pour eux, la rĂ©ponse Ă apporter Ă la première question dĂ©pend de la prise en considĂ©ration de l’exigence exprimĂ©e par la dernière. 1 Il [Cherbury] examine ce que c’est que la vĂ©ritĂ© ; et pour moi, je n’en ai jamais doutĂ©, me sembl ... 4Mais que la question concernant la dĂ©termination de la nature de la vĂ©ritĂ© soit considĂ©rĂ©e comme un problème », voilĂ qui a quelque chose de problĂ©matique ou de paradoxal en soi. En effet, si nous ne savions pas d’emblĂ©e ce qu’est la vĂ©ritĂ©, comment pourrions-nous l’apprendre ? Quelles raisons aurions-nous d’accepter une certaine dĂ©finition parmi les diverses dĂ©finitions possibles ? Bref, comment trouverions-nous la vraie dĂ©finition de la vĂ©ritĂ© ? Ce problème a Ă©tĂ© posĂ© par Descartes dans une lettre bien connue adressĂ©e Ă Mersenne le 16 octobre 1639. Descartes y affirme que la notion de vĂ©ritĂ© est si transcendantalement claire, qu’il est impossible de l’ignorer »1. Sa solution pour ce problème consiste Ă affirmer que nous avons une connaissance naturelle » de la notion de vĂ©ritĂ©, dĂ©finie nominalement par la conformitĂ© de la pensĂ©e avec l’objet. Pour lui, donc, le problème de la vĂ©ritĂ© » renvoie essentiellement au problème qui consiste Ă trouver et Ă fonder un critère de vĂ©ritĂ©, le sens du terme vĂ©ritĂ© », quant Ă lui, Ă©tant tout Ă fait clair et naturellement donnĂ© Ă l’esprit. 5On peut Ă©videmment accorder Ă Descartes que si nous n’avions pas une comprĂ©hension naturelle du sens de la vĂ©ritĂ©, comprĂ©hension Ă laquelle nous pouvons et devons faire appel pour nous guider dans notre investigation, nous resterions dans un vide conceptuel qui ne pourrait ĂŞtre rempli que par un choix arbitraire parmi les multiples dĂ©finitions possibles. NĂ©anmoins, on n’est pas forcĂ© de croire que cette connaissance naturelle soit aussi transcendantalement claire qu’elle semble l’être pour Descartes, ni non plus qu’elle Ă©puise le contenu du concept de vĂ©ritĂ©. On peut très bien soutenir que ce que nous connaissons naturellement de la vĂ©ritĂ© et que nous expliquons quid nominis, c’est-Ă -dire la dĂ©finition nominale de la vĂ©ritĂ©, ne porte que sur la propriĂ©tĂ© ou dĂ©nomination extrinsèque de l’idĂ©e vraie et que cette dĂ©finition, correspondant Ă un niveau encore superficiel de la rĂ©flexion sur l’idĂ©e vraie, ne fournit que le point de dĂ©part pour une recherche plus approfondie sur la nature de la vĂ©ritĂ©. 6Tout se passe comme si cette dĂ©finition n’était qu’un instrument naturel premier, encore partiel et imparfait, Ă l’aide duquel l’âme, par un mouvement rĂ©flexif, pourrait progresser dans le sens d’un approfondissement de la comprĂ©hension de la forme de l’idĂ©e vraie. Or, cet effort rĂ©flexif, ce questionnement qui porte sur le concept mĂŞme de vĂ©ritĂ©, soit pour prĂ©ciser Ă quoi il s’applique, soit pour en dĂ©gager d’autres dĂ©terminations que celle apportĂ©e par la dĂ©finition nominale, nous semble s’accorder avec la dĂ©marche effective de la pensĂ©e spinoziste. Tout au long de son Ĺ“uvre, du Court TraitĂ© et du TraitĂ© de la RĂ©forme de l’Entendement Ă l’Éthique, Spinoza examine de façon critique la conception de la vĂ©ritĂ© comme correspondance, afin d’expliciter non seulement ses conditions de possibilitĂ©, mais aussi et surtout, de la complĂ©ter avec une propriĂ©tĂ© ou dĂ©nomination intrinsèque qui permette, d’une part, d’expliquer que nous puissions savoir avec certitude que nous avons des idĂ©es vraies, et, d’autre part, de fournir Ă la perspective Ă©thique un principe explicatif de la supĂ©rioritĂ© interne du sage sur l’ignorant. 2 Cf. chap. XV, deuxième partie. GI/78 G » renverra toujours Ă Spinoza Opera, Ă©d. Carl Gebhardt, 5 ... 7En effet, la simple correspondance entre la pensĂ©e et son objet n’est pas capable d’apporter une rĂ©ponse satisfaisante aux trois questions qui fournissent le fil conducteur de l’investigation spinoziste sur la vĂ©ritĂ©, et qui sont formulĂ©es de la façon suivante aussi bien dans le Court TraitĂ©2 que dans l’Éthique 3 Éthique II, Proposition XLIII, scolie. GII/124. Si une idĂ©e vraie, en tant qu’elle est dite seulement s’accorder avec ce dont elle est l’idĂ©e, se distingue d’une fausse, une idĂ©e vraie ne contient donc aucune rĂ©alitĂ© ou perfection de plus qu’une fausse puisqu’elles se distinguent seulement par une dĂ©nomination extrinsèque, et consĂ©quemment un homme qui a des idĂ©es vraies ne l’emporte en rien sur celui qui en a seulement des fausses ? Puis d’oĂą vient que les hommes ont des idĂ©es fausses ? Et enfin, d’oĂą quelqu’un peut-il savoir avec certitude qu’il a des idĂ©es qui conviennent avec leurs objets ?3 8Parmi ces trois questions, la première, bien qu’étant sĂ»rement celle oĂą se manifeste la fin ultime qui dirige la pensĂ©e de Spinoza, ne nous concernera pas directement ici. Cela signifie que nous n’allons pas examiner les effets de l’exigence Ă©thique sur la dĂ©termination du concept de vĂ©ritĂ© chez Spinoza. Parmi les deux autres questions, c’est surtout celle concernant la possibilitĂ© de savoir avec certitude que nous avons des idĂ©es vraies qui doit retenir notre attention. En effet, celle-ci renvoie au problème du critère de vĂ©ritĂ© et c’est elle qui, dans un rapport de tension avec la dĂ©termination prĂ©alablement donnĂ©e de la nature de la vĂ©ritĂ©, met en marche l’approfondissement de la rĂ©flexion concernant la forme de l’idĂ©e vraie. 9La rĂ©ponse Ă ces questions repose sur l’introduction de la dĂ©nomination intrinsèque de l’idĂ©e vraie, c’est-Ă -dire sur la notion spinoziste d’adaequatio. C’est cette notion qui permet d’expliquer que la vĂ©ritĂ© soit norme d’elle-mĂŞme et du faux, et qui exclut le recours Ă une marque ou Ă un signe extrinsèque qui serait nĂ©cessaire pour nous faire reconnaĂ®tre cette vĂ©ritĂ© ; c’est elle qui fonde l’identification spinoziste entre l’idĂ©e vraie et la certitude et qui explique qu’une idĂ©e vraie ait plus de rĂ©alitĂ© qu’une fausse. 10L’investigation de Spinoza nous met ainsi devant deux aspects de l’idĂ©e vraie, l’un intrinsèque et l’autre extrinsèque. Tout le problème consiste Ă savoir si entre ces deux aspects il y a tension, contradiction ou complĂ©mentaritĂ© harmonieuse. Y a-t-il chez Spinoza deux thĂ©ories de la vĂ©ritĂ© qui s’opposent ou deux aspects qui se complètent dans une conception consistante de la vĂ©ritĂ© ? La rĂ©ponse Ă ces questions partage les interprètes du spinozisme. 11Certains soutiennent qu’il y a dans l’Éthique une coexistence harmonieuse entre la conception de la vĂ©ritĂ© comme correspondance et celle de la vĂ©ritĂ© comme cohĂ©rence, liĂ©e Ă la notion spinoziste d’adaequatio. Ainsi, R. Landim affirme 4 R. Landim, La notion de vĂ©ritĂ© dans l’Éthique de Spinoza », in Groupe de recherches spinozistes n ... Ces questions posĂ©es par la dĂ©finition de la vĂ©ritĂ© trouvent dans l’Éthique de Spinoza une rĂ©ponse aussi subtile qu’originale. Dans l’Éthique les deux thĂ©ories de la vĂ©ritĂ© coexistent. Si la vĂ©ritĂ© est en premier lieu correspondance, c’est par une sorte de cohĂ©rence que la vĂ©ritĂ© s’impose Ă l’homme comme correspondance4. 12D’autres, comme F. AlquiĂ©, ont insistĂ© sur le caractère conflictuel de cette coexistence. Il parle d’une certaine tension inhĂ©rente au concept spinoziste de la vĂ©ritĂ© », tension qui renvoie Ă la difficultĂ© de concilier les trois affirmations suivantes 5 F. AlquiĂ©, Le Rationalisme de Spinoza, PUF, coll. ÉpimĂ©thĂ©e, Paris, 1981, p. 212. [1] La vĂ©ritĂ© est intĂ©rieure Ă la pensĂ©e, et se dĂ©finit, non par son rapport avec la chose, mais par une dĂ©nomination intrinsèque ; [2] la vĂ©ritĂ© est sa propre marque, son propre signe, et celui qui possède une idĂ©e vraie ne peut douter de sa vĂ©ritĂ© ; [3] la vĂ©ritĂ©, malgrĂ© les deux caractères prĂ©cĂ©dents, est accord de l’idĂ©e et de la chose5. 6 Ce sont ceux, comme S. Hampshire ou H. Joachim, qui considèrent que Spinoza soutient exclusivement ... 7 Ce sont ceux, comme E. Curley ou J. Bennett, pour lesquels Spinoza adopte exclusivement la concepti ... 13D’autres encore, face Ă cette tension et dĂ©sespĂ©rant de la rĂ©soudre, ont choisi de la supprimer en privilĂ©giant exclusivement soit les passages de Spinoza qui vont dans le sens de deux premières affirmations, interprĂ©tĂ©es comme exprimant une certaine version de la thĂ©orie de la vĂ©ritĂ© comme cohĂ©rence6, soit les passages qui vont dans le sens de la dernière affirmation, assimilĂ©e Ă la thĂ©orie de la vĂ©ritĂ© comme correspondance7. 14Bien entendu, le procĂ©dĂ© qui consiste Ă supprimer la tension par l’élimination d’un de ses termes n’est pas lĂ©gitime ici. Il le serait si l’on pouvait montrer que ces affirmations renvoient Ă des moments diffĂ©rents de la pensĂ©e de l’auteur, c’est-Ă -dire si l’on pouvait dissoudre la tension dans la considĂ©ration de l’évolution de la pensĂ©e de Spinoza. Mais tel n’est pas le cas puisque cette tension est prĂ©sente aussi bien dans le Court TraitĂ©, que dans le TraitĂ© de la rĂ©forme de l’entendement et dans l’Éthique. Ainsi, ou bien il est possible de rĂ©soudre conceptuellement cette tension, ou bien il faut avouer qu’elle renvoie Ă une conception incohĂ©rente de la vĂ©ritĂ©. 8 En particulier, il n’est pas possible de dĂ©velopper ici l’analyse dĂ©taillĂ©e de la notion d’idĂ©e adĂ© ... 15Dans cette Ă©tude, mon objectif est de prĂ©senter quelques remarques qui permettent de soutenir la première de ces deux options. Il me semble qu’il n’y a pas nĂ©cessairement d’exclusion mutuelle entre la thĂ©orie de la vĂ©ritĂ© comme cohĂ©rence et celle de la vĂ©ritĂ© comme correspondance, mais plutĂ´t un rapport de complĂ©mentaritĂ©. J’essaierai de montrer que l’originalitĂ© de Spinoza consiste prĂ©cisĂ©ment Ă supprimer cette fausse opposition et Ă faire de l’adaequatio et de la convenientia deux aspects complĂ©mentaires du concept de vĂ©ritĂ©. L’idĂ©e vraie, pour ĂŞtre pleinement vraie, doit satisfaire Ă une double condition ĂŞtre adĂ©quate cohĂ©rente et s’accorder avec son objet. Sans pouvoir examiner ici la totalitĂ© des aspects enveloppĂ©s dans cette question8, je prĂ©tends seulement indiquer quelques Ă©lĂ©ments qui, permettant d’éliminer la tension signalĂ©e par F. AlquiĂ©, rendent possible cette complĂ©mentaritĂ© et illuminent l’originalitĂ© de la rĂ©flexion spinoziste sur la nature de la vĂ©ritĂ©. Qu’il y a un rapport de complĂ©mentaritĂ© entre adaequatio et convenientia 9 Éthique I, axiome VI. 16Il faut remarquer avant tout que Spinoza ne prĂ©sente pas dans l’Éthique, ni dans le TraitĂ© de la rĂ©forme de l’entendement, une dĂ©finition en bonne et due forme et explicite de la vĂ©ritĂ©. Dans l’Éthique, la traditionnelle dĂ©finition nominale de la vĂ©ritĂ© n’est pas prĂ©sentĂ©e sous forme de dĂ©finition, mais sous forme d’axiome l’idĂ©e vraie doit debet s’accorder convenire avec son idĂ©at »9. On ne doit pas penser que la substitution de l’énoncĂ© sous forme d’axiome Ă l’énoncĂ© dĂ©finitionnel soit gratuite. En effet, les dĂ©finitions portent sur l’essence des choses et sur leurs affections, tandis que les axiomes concernent surtout les relations entre les choses. Ainsi, la mise en forme axiomatique de la dĂ©finition nominale vise Ă indiquer que celle-ci ne porte que sur la relation extrinsèque de l’idĂ©e vraie Ă l’objet, sans nous renseigner en quoi consiste l’idĂ©e vraie prise en elle-mĂŞme. 10 Je ne reconnais aucune diffĂ©rence entre l’idĂ©e vraie et l’idĂ©e adĂ©quate, sinon que le mot “vraie” ... 17C’est dans l’Éthique II, dĂ©finition IV, que Spinoza considère l’idĂ©e vraie par sa propriĂ©tĂ© intrinsèque, c’est-Ă -dire par son adĂ©quation J’entends par idĂ©e adĂ©quate une idĂ©e qui, en tant qu’on la considère en elle-mĂŞme, sans relation Ă l’objet, a toutes les propriĂ©tĂ©s ou dĂ©nominations intrinsèques d’une idĂ©e vraie. Explication Je dis intrinsèques pour exclure celle qui est extrinsèque, Ă savoir, l’accord de l’idĂ©e avec l’objet dont elle est l’idĂ©e ». Que l’adaequatio et la convenientia soient deux propriĂ©tĂ©s distinctes et complĂ©mentaires d’une seule et mĂŞme idĂ©e, c’est ce que Spinoza affirme clairement dans la lettre 60 Ă Tchirnhaus10. IdĂ©e adĂ©quate » et idĂ©e vraie » sont deux dĂ©nominations distinctes pour dĂ©signer une seule et mĂŞme idĂ©e, selon que nous considĂ©rons cette idĂ©e unique soit dans sa nature, abstraction faite de son rapport Ă l’objet, soit dans son rapport Ă l’objet. Voyons donc ce qui rend possible cette complĂ©mentaritĂ©. 18Je prendrai comme fil conducteur de mon analyse le § 69 du TraitĂ© de la rĂ©forme de l’entendement Quant Ă ce qui constitue la forme du vrai, il est certain que la pensĂ©e vraie ne se distingue pas seulement de la fausse par une dĂ©nomination extrinsèque, mais surtout par une dĂ©nomination intrinsèque. 19L’emploi de l’adverbe surtout » dans ce passage marque nettement la primautĂ© de la dĂ©nomination intrinsèque par rapport Ă l’extrinsèque, mais l’affirmation de la subordination de cette dernière Ă la prĂ©cĂ©dente n’équivaut pas Ă l’affirmation de son exclusion au profit de la première. NĂ©anmoins, les exemples donnĂ©s ensuite par Spinoza semblent aller dans le sens d’une vĂ©ritable exclusion. En effet, il poursuit 11 GII/26. Si un ouvrier conçoit un ouvrage avec ordre, bien que cet ouvrage n’ait jamais existĂ© et mĂŞme ne doive jamais exister, sa pensĂ©e est nĂ©anmoins vraie que l’ouvrage existe ou non, cette pensĂ©e est la mĂŞme. Et au contraire, si quelqu’un dit, par exemple, que Pierre existe, sans savoir cependant que Pierre existe, sa pensĂ©e, par rapport Ă lui, est fausse, ou, si l’on prĂ©fère, n’est pas vraie, quoique Pierre existe effectivement. Et cette proposition Pierre existe, n’est vraie qu’en ce qui concerne celui qui sait avec certitude que Pierre existe11. 20Le deuxième exemple affirme clairement que le simple accord entre une affirmation et l’état de choses auquel elle renvoie n’est pas une condition suffisante pour qu’elle soit vraie, tandis que le premier exemple semble aller plus loin et affirmer qu’il n’est pas non plus une condition nĂ©cessaire de la vĂ©ritĂ©, puisque le plan conçu par l’ouvrier est dit vrai » indĂ©pendamment de l’existence de son objet. 12 Cf. Éthique I, Proposition VIII, scolie 2 ; Éthique II, Proposition VIII ; Éthique V, Proposition X ... 13 Selon Spinoza, le contraste entre l’existence Ă©ternelle et l’existence temporelle n’est pas un cont ... 14 Cf. les § 41, § 42, § 85, § 91 et § 99. 15 Cf. Éthique II, Propositions XXXII et XXXIV ; Proposition XLI, dĂ©monstration ; Proposition XLIII, d ... 21NĂ©anmoins, il est possible d’interprĂ©ter le premier exemple, Ă la lumière de certaines thèses mĂ©taphysiques soutenues par Spinoza dans l’Éthique12, comme affirmant simplement que la vĂ©ritĂ© d’une pensĂ©e construite d’une façon ordonnĂ©e ne dĂ©pend pas de son accord avec quelque chose qui existe dans la durĂ©e, sans que cela signifie qu’elle ne s’accorde avec une essence Ă©ternelle contenue dans un attribut de Dieu. En effet, Ă©tant donnĂ© que le nĂ©cessitarisme de Spinoza entraĂ®ne que tout ce qui est concevable possède un certain type d’actualitĂ© extra-mentale, il est lĂ©gitime d’affirmer qu’il n’y a pas d’idĂ©e vraie qui ne s’accorde avec un objet douĂ© d’actualitĂ©, que cette actualitĂ© soit l’existence temporelle de la chose ou l’existence Ă©ternelle de son essence13. Toute idĂ©e vraie a donc une portĂ©e existentielle et une dĂ©nomination extrinsèque. Cette lecture permet de maintenir la prĂ©sence constante de la dĂ©nomination extrinsèque de l’idĂ©e vraie indiquĂ©e au dĂ©but du § 69, affirmĂ©e dans d’autres paragraphes du TraitĂ© de la rĂ©forme de l’entendement14 et dans plusieurs passages de l’Éthique15. 16 Cf. ibid., Proposition XLIII, scolie. 22Parmi les deux dĂ©nominations de l’idĂ©e vraie, c’est surtout l’intrinsèque qui constitue la forme du vrai. C’est elle, en effet, qui permet de considĂ©rer l’idĂ©e vraie comme ayant plus de rĂ©alitĂ© ou de perfection interne qu’une idĂ©e fausse, et qui permet d’affirmer qu’il y a entre l’idĂ©e vraie et la fausse la mĂŞme relation qu’entre l’être et le non ĂŞtre16. C’est Ă elle que le § 70 du TraitĂ© de la rĂ©forme de l’entendement se rĂ©fère quand il affirme qu’il y a dans les idĂ©es quelque chose de rĂ©el par quoi les vraies se distinguent des fausses », ce quelque chose de rĂ©el » consistant dans la possession effective d’un savoir concernant ce qu’on affirme. Cela lie indissolublement, comme nous le verrons par la suite, le concept spinoziste de vĂ©ritĂ© au concept de savoir. Comment ce rapport de complĂ©mentaritĂ© est-il possible ? 17 Bien que la substitution de l’énoncĂ© dĂ©finitionnel par l’axiomatique ne soit pas dĂ©pourvue d’import ... 23Si la vĂ©ritĂ© de l’idĂ©e vraie Ă©tait rĂ©duite Ă la dimension extrinsèque, il semble bien que nous serions contraints d’adopter l’interprĂ©tation rĂ©aliste de la dĂ©finition nominale de la vĂ©ritĂ©, selon laquelle une idĂ©e est vraie parce qu’elle s’accorde Ă son Dans ce cas, c’est l’objet qui rend l’idĂ©e vraie, c’est la prĂ©sence d’une rĂ©alitĂ© extĂ©rieure qui est la norme de la vĂ©ritĂ© de l’idĂ©e. On voit bien que cela est tout Ă fait contraire Ă la thèse spinoziste selon laquelle la vĂ©ritĂ© est norme d’elle mĂŞme et du faux », et qu’ainsi, celle-ci ne pouvant pas ĂŞtre fondĂ©e sur la dĂ©nomination extrinsèque de l’idĂ©e vraie et la dĂ©finition de la vĂ©ritĂ© Ă elle attachĂ©e, elle devra ĂŞtre fondĂ©e sur la dĂ©nomination intrinsèque de l’idĂ©e vraie. L’adaequatio devra fournir un aspect complĂ©mentaire Ă la dĂ©finition de la vĂ©ritĂ© qui fonctionne aussi comme norme de la vĂ©ritĂ©. 24Si je dis aspect complĂ©mentaire », c’est pour souligner encore une fois que cela ne signifie pas qu’il faille exclure la dĂ©finition nominale de la vĂ©ritĂ©. Celle-ci affirme simplement que l’idĂ©e vraie s’accorde Ă son objet. Elle ne prĂ©cise pas en quoi consiste cet accord ni non plus quel est, parmi les termes en rapport, celui qui rend l’idĂ©e vraie. L’interprĂ©tation rĂ©aliste de cette dĂ©finition va plus loin parce qu’elle affirme que c’est exclusivement Ă l’objet qu’il appartient la fonction de rendre l’idĂ©e vraie. On peut nĂ©anmoins maintenir cette dĂ©finition tout en excluant l’interprĂ©tation rĂ©aliste. Dans ce cas, il faudra dire que l’idĂ©e vraie, Ă©tant intrinsèquement vraie adĂ©quate, doit s’accorder avec son objet, c’est-Ă -dire doit avoir aussi la dĂ©nomination extrinsèque. Seule l’exclusion de l’interprĂ©tation rĂ©aliste de la dĂ©finition nominale peut rendre compatible les deux aspects de l’idĂ©e vraie. 25Ces considĂ©rations permettent d’avancer dans la comprĂ©hension de l’emploi du mot debet » dans la formulation de l’axiome VI de l’Éthique I. D’après ce qui a Ă©tĂ© dit, cet axiome doit ĂŞtre interprĂ©tĂ© comme l’équivalent de la formule suivante 261 Si une idĂ©e est vraie intrinsèquement vraie, adĂ©quate, alors elle s’accorde nĂ©cessairement avec son objet ». 27Et non comme l’équivalent de la formule suivante 282 Si une idĂ©e s’accorde avec son objet, alors elle est nĂ©cessairement vraie ». 18 TraitĂ© de la rĂ©forme de l’entendement, tr. A. KoyrĂ©, J. Vrin, Paris, 1984, note 69, p. 107. 29Cela veut dire que si une idĂ©e vraie s’accorde avec son objet, elle le fait, comme le dit A. KoyrĂ©, vi propria ; elle s’y accorde parce qu’elle est vraie et non inversement »18. Le mot debet » exprime le fait, pour la dĂ©nomination extrinsèque, d’être une consĂ©quence nĂ©cessaire de la puissance intrinsèque de la pensĂ©e vraie. Cela signifie que, dans le rapport de complĂ©mentaritĂ© entre convenientia et adaequatio, il y a subordination de la première Ă la seconde. 30Cette lecture, qui exclut le caractère rĂ©aliste de la dĂ©finition nominale, peut ĂŞtre renforcĂ©e par l’analyse du deuxième exemple donnĂ© dans le § 69, qui concerne l’affirmation de l’existence de Pierre. Selon ce passage, la simple rencontre fortuite entre un Ă©tat de choses et l’affirmation qui le reprĂ©sente n’est pas une condition suffisante pour que cette affirmation puisse ĂŞtre qualifiĂ©e de vraie. La simple existence fortuite de l’état de choses affirmĂ© ne rend pas l’idĂ©e vraie. Par contre, cette mĂŞme affirmation, faite par celui qui sait avec certitude que Pierre existe », c’est-Ă -dire liĂ©e Ă une idĂ©e adĂ©quate qui porte en soi la totalitĂ© des causes ou raisons de ce qu’on affirme, recevra lĂ©gitimement ce prĂ©dicat. Seule une affirmation connectĂ©e au système de raisons qui la justifient peut ĂŞtre vraie. 19 GII/124. 31Ainsi, pour Spinoza, il n’y a de proposition vraie sur une chose que si elle consiste dans un savoir certain sur cette chose. Dans la connaissance vraie, il y a un rapport indissociable entre ce qui est affirmĂ© et les raisons par lesquelles cela est affirmĂ©, ce qui conduit Spinoza Ă soutenir, dans l’Éthique II, Proposition XLIII, scolie, qu’ avoir une idĂ©e vraie ne signifie rien, sinon connaĂ®tre une chose parfaitement ou le mieux possible »19. 32 Parfaitement ou le mieux possible » dĂ©signe la forme par laquelle la chose est connue, le processus d’engendrement de la connaissance. Et dès lors que ce processus ne reste pas Ă©tranger Ă la vĂ©ritĂ© de l’affirmation Ă laquelle il conduit, mais fait partie intĂ©grante de la signification mĂŞme de sa vĂ©ritĂ©, il n’est pas possible qu’une affirmation soit vraie si elle est dĂ©pourvue de cette forme, si donc elle n’est pas la connaissance parfaite de son objet. L’indissociabilitĂ© entre l’opĂ©ration rationnelle qui fonde et justifie une certaine affirmation et la vĂ©ritĂ© de cette affirmation, l’immanence du processus dĂ©monstratif Ă la vĂ©ritĂ©, signifie que le rejet de l’interprĂ©tation rĂ©aliste de la dĂ©finition nominale s’accompagne, chez Spinoza, de l’exclusion consĂ©cutive de ce que M. Dummett a appelĂ© de principe de connaissance », selon lequel un Ă©noncĂ© peut ĂŞtre vrai mĂŞme si l’on ne peut pas connaĂ®tre ce qui le rend vrai ». Spinoza soutient ainsi une certaine conception Ă©pistĂ©mique de la vĂ©ritĂ©. 20 Pour cette interprĂ©tation de M. Dummett, voir R. Landim A interpretação realista da definição n ... 33Le rĂ©alisme, selon Dummett, peut ĂŞtre caractĂ©risĂ© par la conjonction du principe de correspondance » si un Ă©noncĂ© est vrai il doit y avoir quelque chose en vertu de laquelle il est vrai » ; du principe de bivalence » tout Ă©noncĂ© est vrai ou faux d’une manière dĂ©terminĂ©e » ; et du principe de connaissance » si un Ă©noncĂ© est vrai, il doit ĂŞtre, en principe, possible de connaĂ®tre qu’il est vrai ». Or, dans la mesure oĂą les limites de la connaissance humaine ne dĂ©terminent pas les limites de toute connaissance possible, ce principe peut ĂŞtre interprĂ©tĂ© comme affirmant que quelque chose peut rendre vrai un Ă©noncĂ© sans que nous puissions l’identifier. Il peut, par consĂ©quent, ĂŞtre reformulĂ© de la façon suivante les conditions de vĂ©ritĂ© d’un Ă©noncĂ© peuvent ĂŞtre remplies indĂ©pendamment de notre capacitĂ© de savoir si elles sont ou non remplies ». Le rĂ©alisme, ainsi caractĂ©risĂ©, Ă©tablit une nette sĂ©paration entre le fait pour un Ă©noncĂ© d’être vrai et les raisons qui permettent de le considĂ©rer comme tel, puisqu’il est possible qu’un Ă©noncĂ© soit vrai et qu’on ne puisse pas le dĂ©montrer20. Nous voyons ainsi que le rejet spinoziste de cette sĂ©paration, prĂ©sent dans le § 69 du TraitĂ© de la rĂ©forme de l’entendement, s’accorde bien avec son rejet de l’interprĂ©tation rĂ©aliste de la dĂ©finition nominale de la vĂ©ritĂ©. 21 Éthique II, Proposition III. 22 Ibid, Proposition VI, corollaire. 23 Cette inspiration est nettement prĂ©sente dans la thĂ©orie de la dĂ©finition gĂ©nĂ©tique formulĂ©e dans l ... 34Il faut nĂ©anmoins souligner que l’exclusion de l’interprĂ©tation rĂ©aliste de la dĂ©finition nominale de la vĂ©ritĂ© ne fait pas de Spinoza un idĂ©aliste. D’après lui, jamais l’être des choses ne se rĂ©duit au fait pour elles d’être pensĂ©es. MĂŞme si tout ce qui existe est nĂ©cessairement l’objet d’une idĂ©e en Dieu21, ce n’est pas cela qui constitue l’être formel de l’objet, car Spinoza exclut catĂ©goriquement l’hypothèse d’un entendement crĂ©ateur22. Sa position pourrait ĂŞtre caractĂ©risĂ©e comme celle d’un rĂ©aliste mĂ©taphysique qui, en vertu de son inspiration constructiviste23, refuse le rĂ©alisme Ă©pistĂ©mologique. Cela signifie que tout en acceptant l’existence indĂ©pendante d’une rĂ©alitĂ© extĂ©rieure Ă la pensĂ©e, Spinoza nie la fonction de cette rĂ©alitĂ© dans la production des idĂ©es ainsi que dans la dĂ©termination par soi seule de leur valeur de vĂ©ritĂ©. 24 Éthique II, Proposition XL, scolie 2. 35Le fameux exemple de la quatrième proportionnelle, utilisĂ© par Spinoza pour illustrer aussi bien les diffĂ©rences entre les modes de perception du TraitĂ© de la rĂ©forme de l’entendement § 23 et 24 que les genres de connaissance de l’Éthique24, illustre bien ce lien indissociable entre ce qu’on affirme et les raisons qui prouvent ce qu’on affirme dans l’idĂ©e vraie. En effet, le mĂŞme rĂ©sultat peut ĂŞtre atteint par des procĂ©dĂ©s cognitifs qui divergent qualitativement, et cette divergence quant Ă la manière de parvenir au rĂ©sultat permet de poser les uns et d’exclure les autres de la sphère de la vĂ©ritĂ©. 36La simple application aveugle d’une règle qu’on a apprise par ouĂŻ-dire mais dont la raison nous Ă©chappe premier mode de perception, ou qui a Ă©tĂ© trouvĂ©e par des expĂ©riences particulières non guidĂ©es par la raison, et gĂ©nĂ©ralisĂ©e ensuite d’une façon abusive, sans que nous puissions comprendre la validitĂ© de la règle et la nĂ©cessitĂ© du rĂ©sultat obtenu second mode de perception, conduit Ă des affirmations gratuites et incertaines qui ne peuvent pas ĂŞtre qualifiĂ©es de vraies. MĂŞme si l’application de la règle nous mène au rĂ©sultat correct », la simple impossibilitĂ© de rendre compte du chemin qui y conduit l’exclut de la vĂ©ritĂ©. Ces modes de perception, qui font partie du premier genre de connaissance dans l’Éthique, sont inadĂ©quats et par consĂ©quent non-vrais. 25 Il est important de rapprocher cette distinction intrinsèque, du point de vue de la vĂ©ritĂ©, entre s ... 37Par contre, l’application de la règle comprise Ă partir des propriĂ©tĂ©s communes des nombres proportionnels troisième mode de perception, second genre de connaissance, ou l’infĂ©rence directe de la quatrième proportionnelle Ă partir de l’intuition du rapport entre le premier et le second nombre quatrième mode de perception, troisième genre de connaissance, Ă©tant de procĂ©dĂ©s qui peuvent rendre compte du chemin qui les mène nĂ©cessairement au rĂ©sultat, appartiennent Ă la sphère de la vĂ©ritĂ©. Ainsi, il ne suffit pas de suivre aveuglĂ©ment une règle qui nous mène au rĂ©sultat correct pour Ă©noncer des propositions vraies. Il faut aussi comprendre la nĂ©cessitĂ© de la règle, cette comprĂ©hension Ă©tant la condition mĂŞme pour la comprĂ©hension de la nĂ©cessitĂ© du rĂ©sultat25. Comparaison avec Descartes 38Pour mieux saisir l’originalitĂ© de la pensĂ©e de Spinoza, il est intĂ©ressant de rapprocher ce qu’il affirme dans le § 69 du TraitĂ© de la rĂ©forme de l’entendement de ce que Descartes soutient dans ses MĂ©ditations MĂ©taphysiques. 39Nous trouvons dans les MĂ©ditations deux passages qui illustrent la position de Descartes Ă propos du principe de connaissance ». Le premier se trouve au dĂ©but de la Troisième MĂ©ditation 26 AT-VII-35 AT » renvoie aux Ĺ“uvres de Descartes, Ă©d. Charles Adam et Paul Tannery, Paris, LĂ©opold ... Mais il y avait encore une autre chose que j’assurais, et qu’à cause de l’habitude que j’avais Ă la croire, je pensais apercevoir très clairement, quoique vĂ©ritablement je ne l’aperçusse point, Ă savoir qu’il y avait des choses hors de moi, d’oĂą procĂ©dait ces idĂ©es, et auxquelles elles Ă©taient tout Ă fait semblables. Et c’était en cela que je me trompais ; ou, si peut-ĂŞtre je jugeais selon la vĂ©ritĂ©, ce n’était aucune connaissance que j’eusse, qui fĂ»t cause de la vĂ©ritĂ© de mon jugement si verum judicabam, id non ex vi meae percepcionis contingebat26. 40Dans ce passage Descartes admet que si ce qu’il assurait s’accordait effectivement avec la rĂ©alitĂ©, son jugement serait vrai, malgrĂ© l’absence d’une perception claire et distincte de ce qu’il affirmait. Son jugement serait vrai non par la force ex vi de sa perception, mais, pourrait-on dire, grâce Ă une rencontre hasardeuse avec la rĂ©alitĂ©. Son hĂ©sitation c’était en cela que je me trompais ; ou, si peut-ĂŞtre je jugeais selon la vĂ©ritĂ©... » ne porte pas sur la lĂ©gitimitĂ© de considĂ©rer un jugement de ce type comme vrai, mais plutĂ´t sur la possibilitĂ© de reconnaĂ®tre ou dĂ©terminer cette vĂ©ritĂ©. Le jugement serait, absolument parlant, vrai, mais l’absence de clartĂ© et de distinction l’empĂŞcherait de connaĂ®tre sa vĂ©ritĂ©. 41Spinoza, quant Ă lui, n’hĂ©site pas Ă considĂ©rer un tel jugement, de par l’absence mĂŞme d’une perception adĂ©quate de ce qui est affirmĂ©, comme Ă©tant hors de la sphère des jugements vrais. Et cela mĂŞme si ce qu’il affirme s’accorde avec la rĂ©alitĂ©. Pour lui, un jugement dont la vĂ©ritĂ© ne dĂ©pend en rien de la puissance explicative de la pensĂ©e ne peut pas ĂŞtre qualifiĂ© de vrai ». Sa seule hĂ©sitation, dont j’indiquerai ensuite le sens possible, porte sur la façon de dĂ©signer ce jugement, hĂ©sitant entre les prĂ©dicats faux » et non-vrai » sa pensĂ©e...est fausse ou, si l’on prĂ©fère, n’est pas vraie, encore que Pierre existe effectivement. » 42Chez Descartes, l’absence de clartĂ© et de distinction, c’est-Ă -dire du critère de vĂ©ritĂ©, empĂŞche la reconnaissance de la vĂ©ritĂ©, mais le jugement reste, malgrĂ© cela, vrai. Il y a dissociation entre ce qui identifie et ce qui rend un jugement vrai. Chez Spinoza, l’absence d’adĂ©quation, c’est-Ă -dire de la propriĂ©tĂ© intrinsèque de l’idĂ©e vraie, empĂŞche que le jugement puisse ĂŞtre, au sens pleinement spinoziste, vrai, et a fortiori qu’il puisse y avoir une reconnaissance quelconque de sa vĂ©ritĂ©. 43L’autre passage de Descartes se trouve dans la Quatrième MĂ©ditation, dans le contexte d’une discussion Ă propos du bon usage du libre arbitre 27 AT-IX-48. Or si je m’abstiens de donner mon jugement sur une chose, lorsque je ne la conçois pas avec assez de clartĂ© et de distinction, il est Ă©vident que j’en use fort bien, et que je ne suis point trompĂ© ; mais si je me dĂ©termine Ă la nier, ou assurer, alors je ne me sers plus comme je dois de mon libre arbitre ; et si j’assure ce qui n’est pas vrai, il est Ă©vident que je me trompe ; mĂŞme aussi, encore que je juge selon la vĂ©ritĂ©, cela n’arrive que par hasard, et je ne laisse pas de faillir...27 44Ici Descartes affirme clairement qu’un jugement qui s’accorderait par hasard avec la rĂ©alitĂ© ne laisserait pas d’être un jugement vrai. S’il le rapproche d’un jugement faux, il ne va pas jusqu’à le qualifier de faux ou de non-vrai, comme le fait Spinoza. Ce rapprochement vise Ă attirer l’attention sur le fait qu’un jugement qui par hasard se trouve ĂŞtre vrai renvoie, tout comme un jugement faux, Ă un mauvais usage du libre arbitre. Mais ce jugement ne laisse pas d’être vrai, mĂŞme s’il trouve Ă sa racine le mĂŞme mauvais usage du libre arbitre qui engendre la faussetĂ©. Nous voyons ainsi comment chez Descartes, contrairement Ă ce qui se passe chez Spinoza, c’est bien la prĂ©sence de l’objet qui a la fonction de rendre le jugement vrai et comment l’absence d’évidence ne le rend pas faux mais seulement douteux. Cela montre que l’interprĂ©tation rĂ©aliste de la dĂ©finition nominale s’accompagne du principe de connaissance », et que l’exclusion de l’un entraĂ®ne celle de l’autre. Le refus du principe de bivalence » et le problème de la valeur de vĂ©ritĂ© de l’imagination 45En consonance avec le refus de l’interprĂ©tation rĂ©aliste du principe de correspondance et du principe de connaissance, l’hĂ©sitation de Spinoza entre les prĂ©dicats faux » et non-vrai » dans le § 69 suggère encore, au moins implicitement, une possible rupture avec le principe de bivalence, faisant basculer ainsi la dichotomie traditionnelle du vrai et du faux. En effet, dans ce paragraphe du TraitĂ© de la rĂ©forme de l’entendement, Spinoza suggère une distinction entre trois valeurs de vĂ©ritĂ© le vrai, le non-vrai et le faux. Cette tripartition entraĂ®ne une asymĂ©trie dans les rapports entre adĂ©quation et vĂ©ritĂ©, d’une part, et inadĂ©quation et faussetĂ©, d’autre part. Si toute idĂ©e adĂ©quate est nĂ©cessairement vraie et vice-versa, cette rĂ©ciprocitĂ© n’arrive point dans le rapport entre inadĂ©quation et faussetĂ©. Bien que toute idĂ©e fausse soit nĂ©cessairement inadĂ©quate, toute idĂ©e inadĂ©quate n’est pas nĂ©cessairement fausse, sans que cela signifie que ces idĂ©es soient vraies. Dans ce cas, le fait pour une idĂ©e de ne pas ĂŞtre vraie n’implique pas qu’elle soit fausse. La ligne de partage essentielle se fait entre l’idĂ©e adĂ©quate et l’idĂ©e inadĂ©quate, celle-ci pouvant ĂŞtre fausse ou simplement non-vraie. 28 Cf. G. H. R. Parkinson, Truth Is Its Own Standard Aspects of Spinoza’s Theory of Truth », in Sh ... 29 Éthique II, Proposition XLI, dĂ©monstration, et Proposition XXVIII. 30 Ibid., Proposition XLI. 31 Éthique II, Proposition XVII, scolie et Proposition XLIX, scolie. 32 Éthique IV, Proposition I, dĂ©monstration et scolie. 46Certains interprètes ont signalĂ© la prĂ©sence de cette distinction dans le § 69, tout en affirmant ensuite qu’il n’y en a aucune trace dans l’Éthique28. NĂ©anmoins, je voudrais juste indiquer, pour finir, comment cette distinction entre l’idĂ©e inadĂ©quate non-vraie et l’idĂ©e inadĂ©quate fausse permet d’éclaircir d’une manière satisfaisante une ambiguĂŻtĂ© prĂ©sente dans les affirmations de l’Éthique concernant le rapport entre la faussetĂ© et la connaissance imaginative, connaissance qui est constituĂ©e exclusivement par des idĂ©es qui sont toujours inadĂ©quates et confuses29. En effet, Spinoza affirme, d’une part, que cette connaissance est l’unique cause de la faussetĂ©30. D’autre part, il affirme que les imaginations de l’Âme, considĂ©rĂ©es en elles-mĂŞmes, ne contiennent aucune erreur »31 ; ou encore, que la prĂ©sence d’une idĂ©e vraie peut supprimer l’erreur causĂ©e par une connaissance imaginative sans supprimer ce qu’il y a de positif dans cette mĂŞme connaissance32. Or, il est extrĂŞmement significatif que dans l’Éthique Spinoza ne qualifie jamais de vraie une idĂ©e imaginative. Dans ce dernier passage, mĂŞme s’il lui arrive de parler d’une positivitĂ© de l’idĂ©e imaginative qui n’est pas fausse, il ne va pas jusqu’à qualifier cette idĂ©e, dans son rapport Ă l’âme humaine, comme vraie, ce qu’il n’aurait pas pu faire s’il n’avait pas distinguĂ© entre l’idĂ©e inadĂ©quate non-vraie et l’idĂ©e inadĂ©quate fausse. 33 Pour la distinction entre l’objet directement reprĂ©sentĂ© et l’objet indirectement reprĂ©sentĂ© par l’ ... 34 Éthique II, Proposition XXVIII. 35 Bien entendu, ce n’est pas par l’idĂ©e inadĂ©quate que nous pouvons savoir qu’elle s’accorde avec l’a ... 36 Cette idĂ©e est l’équivalent Ă©pistĂ©mique de la passion joyeuse. Celle-ci naĂ®t d’un accord entre des ... 47Si nous nous rappelons que les idĂ©es inadĂ©quates de l’imagination sont les idĂ©es des affections du corps humain causĂ©es par les corps extĂ©rieurs, et que ces idĂ©es, qui indiquent directement l’état du corps humain, nous permettent aussi de percevoir indirectement la cause extĂ©rieure de cet Ă©tat33, nous constaterons que l’idĂ©e inadĂ©quate non-vraie est celle qui, tout en s’accordant, grâce au parallĂ©lisme, avec son corrĂ©lat physique, Ă savoir l’affection du corps, ne l’indique que très confusĂ©ment. Bien qu’elle s’accorde avec l’affection, elle ne peut pas l’expliquer par ses causes. En effet, l’affection du corps est dĂ©terminĂ©e par une sĂ©rie infinie de causes finies. Dans la mesure oĂą l’âme humaine n’est qu’une partie de l’entendement infini de Dieu, elle n’est pas capable de connaĂ®tre la totalitĂ© infinie de cette sĂ©rie. Ainsi, l’idĂ©e d’affection, considĂ©rĂ©e exclusivement dans son rapport Ă l’âme humaine, est nĂ©cessairement comme une consĂ©quence dĂ©tachĂ©e de ses prĂ©misses », c’est-Ă -dire inadĂ©quate et confuse34. Son inadĂ©quation irrĂ©ductible est suffisante pour l’exclure de la vĂ©ritĂ©, tandis que son accord fortuit », c’est-Ă -dire non justifiĂ© par l’idĂ©e35, avec son corrĂ©lat physique, sans ĂŞtre suffisant pour la dĂ©terminer comme vraie, suffit pour l’exclure de la faussetĂ©36. L’idĂ©e inadĂ©quate fausse, pour sa part, est l’idĂ©e d’affection qui, outre son inadĂ©quation et confusion, ne s’accorde pas Ă l’objet indirect auquel elle renvoie le corps extĂ©rieur qui est cause de l’affection. Si Spinoza soutenait exclusivement une thĂ©orie de la vĂ©ritĂ© comme correspondance, il devrait dĂ©signer le premier aspect des idĂ©es imaginatives comme vrai, ce qu’il ne fait pas. S’il soutenait exclusivement une certaine conception de la vĂ©ritĂ© comme cohĂ©rence, l’inadĂ©quation coĂŻnciderait avec la faussetĂ©, et il ne pourrait pas se rĂ©fĂ©rer Ă la positivitĂ© des idĂ©es inadĂ©quates de l’imagination, ce qu’il fait pourtant. Mais, si la vĂ©ritĂ© naĂ®t de la conjonction entre adĂ©quation et correspondance, conjonction rendue possible par l’exclusion de l’interprĂ©tation rĂ©aliste de la dĂ©finition nominale de la vĂ©ritĂ©, il est possible de considĂ©rer comme fausse l’idĂ©e inadĂ©quate qui ne s’accorde pas avec son objet indirect, et simplement comme non-vraie celle qui s’accorde avec son objet direct. 48Ainsi, nous pouvons conclure que c’est l’exclusion de l’interprĂ©tation rĂ©aliste de la dĂ©finition nominale de la vĂ©ritĂ© et, d’une manière plus gĂ©nĂ©rale, la tendance Ă refuser les principes du rĂ©alisme Ă©pistĂ©mologique, qui permet Ă la pensĂ©e spinoziste de dissoudre la tension signalĂ©e par F. AlquiĂ© et de rendre compatible les deux propriĂ©tĂ©s de l’idĂ©e vraie. Il reste toutefois que rendre compatibles ces deux propriĂ©tĂ©s n’est pas encore montrer la nĂ©cessitĂ© de leur liaison. Pour expliciter comment et pourquoi la convenientia est une propriĂ©tĂ© nĂ©cessairement liĂ©e Ă l’adaequatio, il faudrait examiner la doctrine du parallĂ©lisme et la fonction exercĂ©e par la substance absolue comme fondement de la complĂ©mentaritĂ© entre les deux aspects de la vĂ©ritĂ©. Cette tâche, nĂ©anmoins, dĂ©passe largement les objectifs et limites de cet article. Landim, R., A interpretação realista da definição nominal da verdade », Manuscrito, volume VI, n° 2, abril 1983. Haut de page Bibliographie AlquiĂ©, F., Le Rationalisme de Spinoza, PUF, coll. ÉpimĂ©thĂ©e, Paris, 1981. Curley, E., Spinoza’s Metaphysics An Essay in interpretation, Harvard University Press, Cambridge, Mass., 1969. Curley, E., Spinoza on Truth », Australasian Journal of Philosophy, vol. 72, n° 1, March 1994. 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Car quelle raison aurions-nous de consentir Ă ce qui nous l’apprendrait, si nous ne savions qu’il fĂ»t vrai, c’est-Ă -dire, si nous ne connaissions la vĂ©ritĂ© ? Ainsi on peut bien expliquer quid nominis Ă ceux qui n’entendent pas la langue, et leur dire que ce mot vĂ©ritĂ©, en sa propre signification, dĂ©note la conformitĂ© de la pensĂ©e avec l’objet, mais lorsqu’on l’attribue aux choses qui sont hors de la pensĂ©e, il signifie seulement que ces choses peuvent servir d’objets Ă des pensĂ©es vĂ©ritables, soit aux nĂ´tres, soit Ă celles de Dieu; mais on ne peut donner aucune dĂ©finition de logique qui aide Ă connaĂ®tre sa nature » R. Descartes, Ĺ’uvres Philosophiques, Ă©d. F. AlquiĂ©, Garnier, Paris, 1973, t. II, p. 144. 2 Cf. chap. XV, deuxième partie. GI/78 G » renverra toujours Ă Spinoza Opera, Ă©d. Carl Gebhardt, 5 vol., Heidelberg, Carl Winters, 1924. 3 Éthique II, Proposition XLIII, scolie. GII/124. 4 R. Landim, La notion de vĂ©ritĂ© dans l’Éthique de Spinoza », in Groupe de recherches spinozistes n° 2, Paris, 1989, p. 123. Il faut remarquer que Landim semble distinguer dans son article entre ce qui constitue proprement la vĂ©ritĂ© la correspondance et ce qui nous permet de la reconnaĂ®tre la cohĂ©rence, puisqu’il affirme que la cohĂ©rence est ce par quoi la vĂ©ritĂ© s’impose Ă l’homme comme correspondance. Bref, au lieu d’une coexistence entre deux thĂ©ories de la vĂ©ritĂ©, il s’agit plutĂ´t d’une distinction entre la dĂ©finition et le critère de vĂ©ritĂ©. Or, si l’on pose que la correspondance Ă©puise la dĂ©finition de la vĂ©ritĂ©, Ă©tant donnĂ©e l’impossibilitĂ© de comparer l’idĂ©e avec son objet pour vĂ©rifier la satisfaction de cet accord, il faudra chercher une propriĂ©tĂ© intrinsèque Ă la pensĂ©e qui puisse lĂ©gitimement l’attester. Dans ce cas, nĂ©anmoins, cette propriĂ©tĂ© sera distincte de la propriĂ©tĂ© d’être vraie et il y aura dissociation entre ce qui rend et ce qui identifie une idĂ©e vraie. Nous sommes ainsi ramenĂ©s Ă la position cartĂ©sienne du problème de la vĂ©ritĂ©. La dĂ©finition de la vĂ©ritĂ© Ă©tant transcendentalement claire », le problème consiste Ă trouver un critère ou signe de la vĂ©ritĂ© et Ă prouver sa validitĂ©. Par contre, si, comme le fait Spinoza, la propriĂ©tĂ© intrinsèque de la pensĂ©e vraie est posĂ©e comme faisant partie de la dĂ©finition mĂŞme de la vĂ©ritĂ©, c’est-Ă -dire s’il n’y a pas de vĂ©ritĂ© sans justification rationnelle seule l’idĂ©e adĂ©quate qui porte en elle la complĂ©tude de ses causes ou raisons peut ĂŞtre vraie, alors on peut dire que cette propriĂ©tĂ© non seulement permet la reconnaissance de la vĂ©ritĂ© mais aussi qu’elle appartient Ă la nature de l’idĂ©e vraie raison pour laquelle celle-ci n’a pas besoin d’un signe extrinsèque pour ĂŞtre reconnue. C’est pour cette raison qu’au lieu de parler de coexistence entre deux thĂ©ories de la vĂ©ritĂ©, je parlerai de complĂ©mentaritĂ© entre l’adaequatio cohĂ©rence et la convenientia correspondance dans la constitution du concept spinoziste de vĂ©ritĂ©. 5 F. AlquiĂ©, Le Rationalisme de Spinoza, PUF, coll. ÉpimĂ©thĂ©e, Paris, 1981, p. 212. 6 Ce sont ceux, comme S. Hampshire ou H. Joachim, qui considèrent que Spinoza soutient exclusivement la conception de la vĂ©ritĂ© comme cohĂ©rence. 7 Ce sont ceux, comme E. Curley ou J. Bennett, pour lesquels Spinoza adopte exclusivement la conception de la vĂ©ritĂ© comme correspondance. Cette position, adoptĂ©e par Curley dans son livre Spinoza’s Metaphysics p. 56, p. 122‑126, a Ă©tĂ© revue dans son article Spinoza on Truth », in Australasian Journal of Philosophy, vol. 72, no 1, March 1994. Dans cet article, il soutient l’existence dans la pensĂ©e de Spinoza de tendances en conflit » entre la thĂ©orie de la vĂ©ritĂ© comme correspondance et une certaine version de la thĂ©orie de la vĂ©ritĂ© comme cohĂ©rence. 8 En particulier, il n’est pas possible de dĂ©velopper ici l’analyse dĂ©taillĂ©e de la notion d’idĂ©e adĂ©quate Ă©laborĂ©e par Spinoza dans le TraitĂ© de la rĂ©forme de l’entendement et dans l’Éthique, ni de justifier l’interprĂ©tation adoptĂ©e de cette notion comme renvoyant Ă une affirmation connectĂ©e au système de raisons qui la prouvent et, par lĂ , Ă une certaine version de la thĂ©orie de la vĂ©ritĂ© comme cohĂ©rence. Pour ces analyses et cette justification je renvoie au deuxième chapitre de mon livre Verdade e Certeza em Espinosa Ed. L & PM, Porto Alegre, 1999. 9 Éthique I, axiome VI. 10 Je ne reconnais aucune diffĂ©rence entre l’idĂ©e vraie et l’idĂ©e adĂ©quate, sinon que le mot “vraie” se rapporte seulement Ă l’accord de l’idĂ©e avec son objet, tandis que le mot “adĂ©quate” se rapporte Ă la nature de l’idĂ©e mĂŞme » GIV/270. 11 GII/26. 12 Cf. Éthique I, Proposition VIII, scolie 2 ; Éthique II, Proposition VIII ; Éthique V, Proposition XXIX, scolie. 13 Selon Spinoza, le contraste entre l’existence Ă©ternelle et l’existence temporelle n’est pas un contraste entre l’existence possible et l’existence actuelle, mais entre deux types d’existence actuelle. L’actualitĂ© Ă©ternelle de l’essence d’un mode fini qui n’existe pas dans le temps n’est que la propriĂ©tĂ© actuelle qui appartient Ă l’attribut divin de produire nĂ©cessairement ce mode quand les conditions sont remplies. Cette propriĂ©tĂ© est une combinaison particulière des lois de la nature. 14 Cf. les § 41, § 42, § 85, § 91 et § 99. 15 Cf. Éthique II, Propositions XXXII et XXXIV ; Proposition XLI, dĂ©monstration ; Proposition XLIII, dĂ©monstration. 16 Cf. ibid., Proposition XLIII, scolie. 17 Bien que la substitution de l’énoncĂ© dĂ©finitionnel par l’axiomatique ne soit pas dĂ©pourvue d’importance, elle ne signifie pas la suppression de la correspondance comme l’un des Ă©lĂ©ments constitutifs de la conception spinoziste de la vĂ©ritĂ©. Pour cette raison, et pour faciliter l’exposition, j’ai pris la libertĂ© de maintenir la dĂ©signation traditionnelle de dĂ©finition nominale pour renvoyer Ă cet Ă©lĂ©ment. 18 TraitĂ© de la rĂ©forme de l’entendement, tr. A. KoyrĂ©, J. Vrin, Paris, 1984, note 69, p. 107. 19 GII/124. 20 Pour cette interprĂ©tation de M. Dummett, voir R. Landim A interpretação realista da definição nominal da verdade », Manuscrito, n° 2, avril 1983 ; et Significado e verdade », SĂntese, n° 32, dĂ©cembre 1984. 21 Éthique II, Proposition III. 22 Ibid, Proposition VI, corollaire. 23 Cette inspiration est nettement prĂ©sente dans la thĂ©orie de la dĂ©finition gĂ©nĂ©tique formulĂ©e dans le TraitĂ© de la rĂ©forme de l’entendement. 24 Éthique II, Proposition XL, scolie 2. 25 Il est important de rapprocher cette distinction intrinsèque, du point de vue de la vĂ©ritĂ©, entre suivre une règle en connaissant ou en ignorant sa nĂ©cessitĂ©, de ce que Spinoza soutient Ă propos de la distinction intrinsèque, du point de vue Ă©thique, entre la conduite du sage et celle de l’ignorant par rapport aux principes Ă©thiques. Le sage et l’ignorant peuvent avoir une mĂŞme conduite, accomplir une mĂŞme action d’un point de vue extĂ©rieur tout en Ă©tant radicalement distincts du point de vue de la dĂ©termination intĂ©rieure. Ainsi, l’un interprète une règle de vie comme une loi morale et est dĂ©terminĂ© Ă l’obĂ©ir par la peur du châtiment et l’espoir d’une rĂ©compense ; l’autre est au-dessus de la loi, c’est-Ă -dire qu’il est dĂ©terminĂ© Ă suivre cette règle de vie par la comprĂ©hension de la nĂ©cessitĂ© par laquelle elle est liĂ©e Ă ses effets immanents, et par la comprĂ©hension de son utilitĂ© comme moyen pour parvenir Ă la libertĂ© et au bonheur voir lettre XIX Ă Blyenbergh et Éthique IV, Propositions LIX et LXIII. Le premier est esclave des passions tristes engendrĂ©es par sa connaissance inadĂ©quate, l’autre est un homme libre qui agit dĂ©terminĂ© par sa connaissance adĂ©quate et par les affects actifs qui en dĂ©coulent joie et amour intellectuel. De mĂŞme qu’il ne suffit pas de parvenir Ă une conclusion correcte en suivant une règle dont on ignore la nĂ©cessitĂ© pour ĂŞtre dans la sphère de la vĂ©ritĂ©, de mĂŞme il ne suffit pas de conformer notre conduite Ă une loi dont on ignore la nĂ©cessitĂ© et l’utilitĂ© pour ĂŞtre dans la sphère de l’activitĂ© Ă©thique et de la libertĂ©. La simple conformitĂ©, Ă l’objet ou Ă la règle, dĂ©tachĂ©e des raisons qui la justifient, est Ă©galement insuffisante dans les deux cas. Ce rapprochement indique – sans que nous puissions l’approfondir ici – l’extrĂŞme importance qui sera accordĂ©e Ă la propriĂ©tĂ© intrinsèque de l’idĂ©e vraie adaequatio pour fonder la supĂ©rioritĂ© Ă©thique du sage face Ă l’ignorant. 26 AT-VII-35 AT » renvoie aux Ĺ“uvres de Descartes, Ă©d. Charles Adam et Paul Tannery, Paris, LĂ©opold Cerf, 1897‑1909 ; réédition Vrin-CNRS, 11 vol., 1964‑1974. 27 AT-IX-48. 28 Cf. G. H. R. Parkinson, Truth Is Its Own Standard Aspects of Spinoza’s Theory of Truth », in Shahan and Biro eds., Spinoza New Perspectives, University of Oklahoma Press, 1978, p. 44, et M. Della Rocca, Representation and the Mind-Body Problem in Spinoza, Oxford University Press, 1996, p. 109. 29 Éthique II, Proposition XLI, dĂ©monstration, et Proposition XXVIII. 30 Ibid., Proposition XLI. 31 Éthique II, Proposition XVII, scolie et Proposition XLIX, scolie. 32 Éthique IV, Proposition I, dĂ©monstration et scolie. 33 Pour la distinction entre l’objet directement reprĂ©sentĂ© et l’objet indirectement reprĂ©sentĂ© par l’idĂ©e d’affection, voir Éthique II, Proposition XVI, et ses deux corollaires. 34 Éthique II, Proposition XXVIII. 35 Bien entendu, ce n’est pas par l’idĂ©e inadĂ©quate que nous pouvons savoir qu’elle s’accorde avec l’affection, c’est-Ă -dire qu’elle indique effectivement la manière dont nous sommes affectĂ©s par les choses extĂ©rieures, mais par notre connaissance adĂ©quate de l’origine et de la nature de la connaissance imaginative. 36 Cette idĂ©e est l’équivalent Ă©pistĂ©mique de la passion joyeuse. Celle-ci naĂ®t d’un accord entre des individus qui se rencontrent, cet accord entre leurs natures Ă©tant cause de joie, c’est-Ă -dire d’une augmentation positive de puissance. NĂ©anmoins, cet accord et cette positivitĂ© ne sont pas suffisants pour caractĂ©riser ces individus comme des individus actifs, de mĂŞme que la positivitĂ© de l’idĂ©e inadĂ©quate et son accord fortuit » avec l’affection du corps ne sont pas suffisants pour la caractĂ©riser comme vraie. Haut de page Pour citer cet article RĂ©fĂ©rence papier Marcos AndrĂ© GLEIZER, Remarques sur le problème de la vĂ©ritĂ© chez Spinoza », Philonsorbonne, 5 2011, 119-135. RĂ©fĂ©rence Ă©lectronique Marcos AndrĂ© GLEIZER, Remarques sur le problème de la vĂ©ritĂ© chez Spinoza », Philonsorbonne [En ligne], 5 2011, mis en ligne le 03 fĂ©vrier 2013, consultĂ© le 28 aoĂ»t 2022. URL ; DOI de page Droits d’auteur Tous droits rĂ©servĂ©sHaut de page
Un livre de définition la plus simple de la vérité pourrait être la suivante ce que nous disons ou pensons est vrai quand ce que nous avons en vue existe vraiment tel que nous le disons ou le pensons. De ce fait, la vérité serait l'image correcte, ou la connaissance, que nous avons de la réalité. Organisation de l'article cet article est divisé en deux grandes parties. Dans la première partie, nous avons organisé une réflexion sur la vérité en suivant un fil directeur énoncé ci-dessus. Il nous a semblé préférable de procéder ainsi afin d'éviter de faire un catalogue d'opinions philosophiques et d'offrir un texte structuré qui pourra, s'il atteint son but, donner une idée du travail philosophique que l'on doit fournir dans une dissertation. Le défaut de cette présentation est que cet exposé, même si nous avons pris soin de formuler des points de vue variés et diverses objections, est inévitablement sélectif et orienté. La seconde grande partie vient remédier en partie à ce défaut, en proposant des extraits aussi variés que possibles de textes classiques et en fournissant une liste de sujets de dissertation. Manuel de philosophie Sujet Conscience - PerceptionInconscient - Autrui - DésirExistence et temps Culture Langage - ArtTravail et techniqueReligion - Histoire Raison et réel Théorie et expérienceDémonstrationInterprétation - VivantMatière et esprit - Vérité Politique SociétéJustice et droit - État Morale Liberté - Devoir - Bonheur Repères Quelques remarques pour commencer[modifier modifier le wikicode] Cette définition de la vérité, que nous plaçons en tête de ce chapitre et que nous allons avoir l'occasion de discuter, soulève de deux types de problèmes. Premier problème la vérité apparaît comme une qualité que nous attribuons à ce que nous disons ou pensons cette phrase est vraie, cette idée est vraie, et la vérité n'existe pas à part de ce que nous qualifions de vrai. La question se pose donc de savoir à quoi exactement nous attribuons cette qualité une phrase ou une idée et si nous avons raison de penser que la vérité est quelque chose que nous attribuons. Second problème la vérité n'est attribuée que sous certaines conditions il faut une idée ou une pensée de quelque chose, et également quelque chose qui existe dont nous avons l'idée et dont nous parlons. Dans ce cas, il y a une relation entre deux termes la pensée et la réalité, et, en dehors de cette relation, parler de vérité n'a pas de sens. Quelle est alors la nature de cette relation ? comment savons-nous que l'image que nous avons de la réalité est fidèle ? et comment la réalité peut-elle se refléter dans notre esprit en sorte que nous puissions posséder la vérité ? Afin de ne pas alourdir cet article, nous ne donnerons pas de références en notes. Toutes les références utilisées peuvent être retrouvées dans la bibliographie commentée et dans les extraits que nous donnons dans la section Textes. Qu'est-ce que nous disons être vrai ou faux ?[modifier modifier le wikicode] À quoi donnons-nous la qualité d'être vrai ? Nous avons dès le début supposé que la vérité résidait dans des phrases ce que nous disons à propos de la réalité ou des pensées les idées que nous avons des choses. Nous commencerons par ce problème, sans pourtant avoir répondu à ce stade à la question de savoir ce qu'est la vérité en examinant dans quels cas nous parlons de vérité, nous parviendrons peut-être à déterminer les usages corrects s'il y en a de cette notion, ce qui aura ensuite l'avantage de nous en faciliter la compréhension. Phrase et proposition[modifier modifier le wikicode] Il nous semble évident que les phrases disent des choses vraies ou fausses, comme nous l'avons supposé dès le début. Cette idée, dans sa généralité, est pourtant fausse. Va me chercher du pain ! » est une phrase, mais elle n'est ni vraie ni fausse ; c'est un ordre. Il existe ainsi de nombreuses phrases que nous utilisons quotidiennement qui sont dans ce cas les phrases qui expriment une demande pourriez-vous etc. », un souhait je souhaiterais etc. ». Faut-il en conclure que les phrases ne disent rien de vrai ou de faux ? Évidemment non, car certaines phrases sont effectivement vraies ou fausses il pleut », mon bureau est blanc », etc. Pour distinguer ces phrases des autres, nous appellerons proposition » les phrases qui ont cette qualité de pouvoir être vraie ou fausse. Première caractérisation Une proposition est une phrase qui peut être vraie ou fausse. Ces propositions, telles que nous les définissons, ne sont pas vraies en elles-mêmes nous disons qu'elles peuvent énoncer une vérité ou une erreur. Cela semble tenir au fait que la proposition énonce quelque chose à propos d'une réalité indépendante de nous il pleut » peut être vraie quand je vois qu'il pleut, mais fausse plus tard quand il ne pleut plus. Une proposition prétend donc nous informer sur un état de choses, et elle décrit correctement ou non cet état de choses. Nous pouvons alors énoncer les deux caractéristiques suivantes Deuxième caractérisation Une proposition prétend nous apprendre quelque chose à propos d'un état de choses. Troisième caractérisation Une proposition est vraie ou fausse selon qu'elle s'accorde ou non avec un état de choses. Nous examinerons plus loin ces conditions de la vérité d'une proposition, mais remarquons que le fait d'être vrai semble impliquer la possibilité d'être faux. Une proposition ne peut-elle pourtant pas toujours être vraie ? Sans doute, si elle exprime une réalité qui est toujours comme nous en parlons. Mais le monde extérieur est changeant, et cela laisse peu d'espoir de trouver des propositions toujours vraies. Pourtant, il est une sorte de proposition qui semble posséder cette qualité ce sont les propositions mathématiques. En effet, de quelque manière qu'on l'envisage, 2 + 2 = 4 est toujours vraie. Seulement, les propositions mathématiques ne parlent pas des objets du monde extérieur ; quel genre de réalités peuvent être les objets mathématiques est une question difficile que nous n'aborderons pas ici. Contentons-nous de dire qu'il y a des propositions qui portent sur le monde extérieur et qu'elles sont vraies ou fausses, et qu'il y en a d'autres qui portent peut-être sur autre chose et qu'elles semblent pouvoir être toujours vraies. Cependant, si nous regardons d'un peu plus près ces rapports différents à la vérité et à la fausseté, nous sommes amenés à nous demander s'il ne faut pas distinguer des propositions de nature différente. En effet, dans le premier cas, la vérité ou la fausseté dépend d'un lien avec la réalité il pleut » reflète ou non le fait qu'il pleut. Mais que reflète 2 + 2 = 4 » ? Loin d'avoir besoin d'une réalité empirique pour être vraie, cette phrase paraît être vraie en vertu de la définition des signes qu'elle contient, ou de ce que veulent dire ses termes et ses symboles et de la manière dont nous les utilisons 2 », + », = ». Nous n'allons pas tout de suite examiner ce problème, afin de poursuivre notre enquête sur ce que nous disons être vrai ou faux. Retenons pour le moment qu'il y a à l'évidence différents genres de phrases les propositions que nous disons êtres vrais ou faux, et que ces propositions ne sont sans doute pas vraies ou fausses pour les mêmes raisons et dans les mêmes conditions. Enfin, nous devons considérer le type de réalité qu'est la proposition, afin de savoir exactement ce que nous qualifions de vrai ou de faux. Nous avons dit que la proposition est phrase. Elle se présente en effet comme telle. Considérons cependant les deux phrases suivantes il pleut », et es regnet ». Nous avons là deux phrases distinctes, la première en Français, la seconde traduisant la première en Allemand. Ce sont toutes deux des propositions, puisqu'elles portent sur un état de choses et qu'elles peuvent être vraies ou fausses. Admettons qu'elles portent sur le même état de choses c'est le même phénomène météorologique qui est décrit, au même endroit, au même moment. Il faut alors en conclure que ces deux phrases différentes sont en fait une seule et même proposition, et qu'une proposition n'est pas simplement un certain type de phrases composées de signes déterminés lettres, mots associés par des règles de grammaire, puisqu'elle peut être traduite en différentes langues en restant la même proposition. Il y a donc des phrases qui sont des propositions, mais la proposition n'est pas à proprement parler une phrase déterminée. Qu'est-ce alors qu'une proposition ? Si nous regardons nos deux exemples, nous pourrions dire qu'elles expriment toutes deux la même idée à propos d'une certaine réalité. La proposition ne serait-elle pas alors une certaine sorte d'idée ou de réalité mentale que nous pouvons exprimer de manière sensible, par des signes écrits ou des sons ? Il nous faut, pour tenter d'y répondre, examiner ce que nous entendons par ce terme d' idée ». Nos idées[modifier modifier le wikicode] J'ai par exemple l'idée qu'il pleut et il se trouve qu'il pleut. Il nous semblent ainsi évident que nos idées sont vraies ou fausses, et, dans ce cas, nous pensons à des idées que nous pouvons énoncer, comme nous l'avons dit ci-dessus, sous la forme de phrases. La proposition, vraie ou fausse, serait donc une sorte d'idée située dans notre tête, donc une réalité mentale, et la phrase serait l'expression sensible d'une idée ou d'un certain genre d'idées nommé proposition ». Mais, comme dans le cas de la phrase, ce n'est peut-être pas une généralité que l'idée peut être vraie ou fausse. Nous devons chercher s'il y a des idées qui auraient, contrairement à d'autres, la particularité d'être des propositions parce qu'elles peuvent être vraies ou fausses. Mais nous parlons d'idée à propos de toutes sortes de réalités mentales, ce qui ne facilite pas notre recherche. Appelons idée » toutes les représentations, images, pensées, qui peuvent nous venir à l'esprit. Parmi ces idées, nous en trouvons dont nous pourrions peut-être dire qu'elles ne sont ni vraies ni fausses nos rêveries, par exemple, même si nous pourrions dire qu'elles sont fausses car elles ne correspondent à aucune réalité, ne sont toutefois imaginées par nous que pour le plaisir et pour elles-mêmes, et non dans le but d'être vraies. Toutes les images que nous formons semblent ainsi faites que nous puissions les tenir pour vraies ou fausses, sans qu'un tel jugement soit cependant nécessaire je peux simplement me représenter une chose réelle ou pas sans rien affirmer de sa réalité. Cette dernière caractéristique nous suggère qu'il pourrait en être ainsi à propos des propositions si une proposition est l'expression sensible d'une idée qui peut être vraie et fausse, mais que cette idée peut être pensée sans rien affirmer de la vérité ou de la fausseté de son contenu, une proposition ne pourrait-elle pas être aussi une simple assertion n'impliquant aucun jugement de vérité ? Dans ce cas, bien que la proposition puisse être vraie ou fausse, un acte de l'esprit, le jugement, doit s'ajouter à elle pour que nous puissions déterminer sa vérité ou sa fausseté. Nous reviendrons plus loin sur cette question. Pour le moment, considérons nos idées en général ; par définition, toute idée représente quelque chose nous avons toujours l'idée de quelque chose, la notion d'idée en elle-même est dépourvue de sens. De ce fait, toute idée peut être vraie ou fausse. Quand, par une phrase, j'exprime un souhait qui n'est ni vrai ni faux, l'idée que j'ai de ce souhait semble bien devoir être vrai ou faux. Néanmoins il ne s'agit pas de l'énoncé du souhait en lui-même, mais de la réalité de ce souhait et de ce que je souhaite, car je peux me tromper sur ce que je souhaite vraiment. Et il en va de même des objets du désir, de la volonté, etc. Toutefois, dire que ce type de réalités peut être vrai ou faux est sujet à discussion, car il faut par exemple faire appel à un terme caché ce que je souhaite vraiment quand je me trompe sur mes aspirations véritables pour qualifier un souhait de faux, ce qui ne contribue pas à clarifier le problème. Cependant, parmi nos idées, nous en trouvons qui sont manifestement liées en elle-même à un jugement de vérité ce sont l'opinion, la croyance, le savoir, la certitude, la foi, etc. ; toutes ces idées contiennent en effet des affirmations sur l'existence et la manière dont existent certains objets, et il semble bien que la vérité et la fausseté de ces affirmations constituent une partie importante de la manière dont nous pouvons les décrire et les comprendre. Il serait ainsi absurde de dire à la fois je sais ou je crois qu'il pleut » et j'ai l'idée qu'il pleut, mais je n'affirme rien quant à la réalité que représente cette idée ». Nous avons donc là clairement des réalités mentales auxquelles nous pouvons attribuer la vérité et la fausseté. Mais il est aussi évident que ce n'est pas de la même manière que nous attribuons ces qualités à chacune d'entre elles. Examinons brièvement ce point. l'opinion nous exprimons ordinairement des opinions à tout propos, et toutes ces opinions ne sont pas fondées de la même manière, mais peuvent être justifiés par des motifs extrêmement variés des on-dits, des préférences irréfléchies, l'habitude, les traditions, etc. L'opinion est ainsi une sorte de jugements subjectifs qui s'accommodent de l'ignorance et des préjugés, mais que nous revendiquons cependant parfois comme nos opinions. Elle a donc un caractère subjectif très marqué, et cela se traduit par des degrés subjectifs de certitude que nous exprimons par des termes psychologiques je suis persuadé, convaincu que ». la croyance dans le langage de tous les jours, la croyance se distingue assez peu de l'opinion je pense que », je crois que », mon avis est que », expriment également des opinions et des croyances que nous tenons pour vraies, quoique leur justification soit très vague. Pourtant, dans certains cas, le mot croyance » semble bien insister sur le fait que nous tenions une proposition pour vraie en mettant plus en avant l'objet ou le contenu d'un jugement que ne le fait l'opinion, plutôt centrée quant à elle sur l'individu qui s'exprime. La croyance semble alors correspondre à un état de certitude plus objectif. À l'évidence, pourtant, ce n'est pas toujours vrai, car nous disons je crois en Dieu », en désignant un objet dont l'existence objective est difficile à attester. Néanmoins, dans ce cas, on parle plutôt de foi, et la certitude que cette foi exprime est appelée un acte de foi. la connaissance, le savoir toutes nos connaissances sont des croyances. Nous pouvons par exemple croire que la vitesse est la distance divisée par le temps. Cette croyance est un savoir si elle décrit correctement la réalité sur laquelle elle porte. Puisque l'idée de connaissance fausse est une contradiction, nous pouvons dire que la connaissance est toujours vraie. Nous voyons par là un lien entre vérité et connaissance chercher ce qu'est la vérité, cela peut bien être également se demander ce qui fait qu'une pensée est une connaissance et pas simplement une croyance ou une opinion. Ces quelques remarques nous permettent de faire une importante distinction l'opinion, la croyance, le savoir, etc. ont un contenu objectif, c'est-à -dire qu'ils désignent un certain fait, à tort ou à raison ; mais ils font également l'objet d'un état du sujet la conviction par exemple. Or, quand une personne énonce un jugement et que nous souhaitons éprouver la vérité ou la fausseté de ce jugement, la question de savoir dans quel état se trouve la personne est sans pertinence. Ainsi, si Pierre affirme qu'il est convaincu que Marie l'aime, nous avons un état de conviction de Pierre et un contenu de sa conviction Pierre est convaincu que Marie l'aime ; Marie aime Pierre. L'examen de la vérité de la conviction de Pierre ne portera pas sur la proposition 1, mais sur la 2. Autrement dit, la vérité et la fausseté de ce qu'énonce un individu sont indépendantes de l'état dans lequel il se trouve, et la proposition que nous avons à examiner est l'énoncé du contenu de la conviction, de la croyance, etc. Nous pouvons maintenant réviser notre idée de ce qu'est une proposition. Nous avons vu que la proposition n'est pas une phrase. Mais elle n'est pas non plus simplement une idée. Selon la distinction que nous venons de faire, nous devons dire que la proposition est le contenu d'une croyance, en donnant à ce terme de croyance un sens large comme une opinion ou un savoir. Et c'est ce contenu que nous tenons pour vrai ou faux. Sensation et perception[modifier modifier le wikicode] Pour plus de détails voir Philosophie/Perception. Lorsque nous avons abordé les idées, nous avons du mal à distinguer celles qui peuvent être exprimées par des propositions vraies ou fausses de ces mêmes idées considérées comme contenu. Aussi, une autre catégorie de réalités que nous pourrions qualifier de vraies ou de fausses sont les réalités mêmes dont nous parlons et auxquelles nous pensons, c'est-à -dire le contenu de nos propositions et de nos idées, désignant tous les objets des sens, ainsi que ces réalités plus difficiles à saisir que sont nos passions, nos sentiments, nos volontés, nos pensées, etc. À première vue, toutes ces réalités, même si nous disons vrai à leur propos, ne sont pas vraies en elles-mêmes. Un arbre, ce rouge, la colère, vouloir marcher ne sont pas des réalités vraies, mais simplement des réalités elles existent, et c'est le fait qu'elles existent qui nous permet de dire des vérités à leur propos si nous en parlons en les décrivant comme elles sont. Pourtant, ne sommes-nous pas victimes d'illusions des sens ? Dans ce cas, ce sont bien les sens qui se trompent. Or, s'ils se trompent, c'est qu'ils sont dans l'erreur, et s'ils sont dans l'erreur, c'est que, habituellement, ils sont dans le vrai. Les données que nous fournissent nos sens seraient donc vraies en ce sens que les sens nous offrent une image correcte de la réalité et ils seraient dans l'erreur dans le cas contraire. Cette conception est discutable. En effet, nous avons vu que, pour qu'il y ait vérité, il faut une relation entre une réalité et quelque chose qui décrit cette réalité. Il faudrait donc que les sens nous donnent à la fois une intuition d'une réalité et l'image de cette réalité. Mais ce que nous appelons sensation, c'est justement cette intuition de la réalité par les sens, tandis que l'image de la réalité est une représentation, c'est-à -dire que c'est l'idée que nous avons d'une réalité et cette idée est le fait de l'esprit. Il n'en reste pas moins, pourriez-vous objecter, que nous parlons d'illusions des sens, et c'est pourquoi ce sont les sens qui se trompent et une sensation peut être vraies ou fausses. La preuve en est que, de loin, je vois ronde une tour carrée, et il y a ainsi mille exemples qui démontrent que ce sont les sens qui se trompent en nous donnant à voir ce qui n'existe pas. Donc, quand ils ne se trompent pas, les sens sont véridiques. Mais cette objection repose sur une confusion entre l'impression sensible que nous avons de certaines formes, et les jugements que nous formulons à leur propos. En effet, tant que, voyant au loin une forme qui ressemble à une tour ronde, je ne juge pas que ce que je vois est une tour réellement ronde, je ne suis pas dans l'erreur, et mes sens, qui ne m'offre que la vision d'une forme, ne me disent rien sur la réalité de ce que je vois. Ainsi les sens ne sont-ils ni vrais ni faux [...] en général [Les sens] ne mentent pas. C’est ce que nous faisons de leur témoignage qui y met le mensonge, par exemple le mensonge de l’unité, le mensonge de la réalité, de la substance, de la durée... » Friedrich Nietzsche, Le Crépuscule des idoles, La "raison" dans la philosophie ». Cette thèse, défendue par des philosophes aussi différents qu'Épicure et Nietzsche, ne semble toutefois pas si facile à soutenir. Si vous avez regardé l'illustration située au début de cette section, vous avez vu deux ronds oranges de taille différente. En réalité, ces ronds sont identiques. Bien que vous le sachiez maintenant, vous continuez cependant à voir un cercle plus grand que l'autre, et cela, votre vue vous le montre et donc se trompe. Si nous disons avec Nietzsche que c'est ce que nous faisons des témoignages des sens qui y introduit l'erreur, comment pourrions-nous comprendre que l'erreur peut s'y trouver avant même que nous jugions par la raison de certaines propriétés des choses comme sa forme ou ses dimensions, et même après ? bien plus, comment expliquer que des opérations aussi complexes que la comparaison puisse se trouver dans ces témoignages ? Nous pourrions alors distinguer deux choses pour tenter de voir plus clair dans ce problème la sensation considérée en elle-même cette couleur, cette forme, etc., que nous pourrions définir comme l'ensemble des impressions brutes — voire originelles, qui se présentent à nous avant toute mise en ordre de quelque nature qu'elle soit ; et un autre type de sensations, élaborées à partir des premières, sensations par lesquelles nous voyons, touchons, supposons, etc., des objets possédant certaines qualités, avant même de formuler une proposition à l'aide de nos facultés intellectuelles. Ces dernières sensations contiennent alors manifestement des jugements, qui échappent à notre raison, sur les qualités des choses et sur l'existence même des choses, comme nous pouvons en faire l'expérience dans les illusions d'optique ; afin de les distinguer des premières, nous les appellerons des perceptions. Ces perceptions peuvent-elles être considérées comme des propositions, au sens que nous avons donné plus haut à ce mot, et peut-on les placer au même rang que nos croyances et leurs contenus ? Ce que nous voulons savoir, c'est si les perceptions peuvent légitimement être dites vraies ou fausses. Bilan[modifier modifier le wikicode] Tentons à présent de reprendre de manière synthétique l'ensemble de nos réflexions. Nous avons établi que nous disons vrais ou faux des jugements, et que nous pouvons exprimer ces jugements qu'il s'agisse d'idées ou de perceptions par une forme particulière de phrases que nous nommons propositions. Ces jugements sont des mises en relations de réalités, comme la relation entre un objet et une qualité ou entre deux objets. Elles doivent en outre être tenues pour réelles ou niées et être comparées à ce sur quoi elles portent, c'est-à -dire qu'elles doivent être l'objet de nos croyances, opinions, savoirs, etc. Cependant, si nous faisons un bilan de nos réflexions d'après les différentes manières que nous avons vues pour une proposition d'être vraie ou fausse, nous trouvons qu'il y a deux sortes de propositions les propositions qui portent sur le monde extérieur et les propositions vraies en vertu des symboles qui les composent. Nous pouvons alors conclure cette partie en citant ces paroles du philosophe Alfred Ayer [...] je divise toutes les propositions authentiques en deux classes celles qui [...] concernent les "relations d'idées" et celles qui concernent les "matières de fait" matter of fact. La première classe comprend les propositions a priori de la logique et des mathématiques pures, que je ne considère comme nécessaires et certaines, que parce qu'elles sont analytiques. Je maintiens, en effet, que la raison pour laquelle ces propositions ne peuvent être démenties par l'expérience, est qu'elles ne font aucune assertion au sujet du monde empirique, mais indiquent simplement notre détermination d'user de symboles d'une certaine manière. Par contre, les propositions empiriques concernant les matières de fait, je soutiens qu'elles sont des hypothèses qui peuvent être probables, mais jamais certaines. Et en exposant la méthode de leur validation, je prétends aussi élucider la nature de la vérité. » Langage, vérité et logique, Préface » La question de la nature de la vérité se ramène donc à la question de la méthode de validation de nos propositions par quels moyens, procédés ou méthodes établissons-nous que nos propositions sont vraies ? À partir de nos remarques sur la nature de la proposition, voyons donc comment nous pouvons maintenant tenter d'élucider ce qu'est la vérité. Quelle est la nature de la vérité ?[modifier modifier le wikicode] "Qu'est-ce que la vérité ?" Le Christ et Pilate. Nikolaï Gay 1831–1894 À présent que nous avons passé en revue les réalités propositions, idées telles que la croyance et l'opinion, perceptions susceptibles de se voir attribuer la qualité de vérité, voyons dans quelles conditions nous sommes justifiés à faire une telle attribution. Ce que nous cherchons, ce sont en particulier des critères pour nous guider afin de pouvoir reconnaître une proposition et une pensée vraie et donc également celles qui sont fausses. C'est en cela que nous faisons consister la nature de la vérité, c'est-à -dire que nous ne cherchons pas une réalité qui existerait à part et que nous nommerions Vérité, mais des règles pour bien juger, et, le cas échéant, pour atteindre la plus grande certitude possible. L'adéquation[modifier modifier le wikicode] Définition[modifier modifier le wikicode] Commençons par l'idée que nous avons déjà largement esquissée, à savoir que la vérité est la qualité d'une proposition ou d'une pensée qui énonce une réalité telle qu'elle est. Dans cette conception de la vérité, nous avons une relation entre deux termes une pensée que nous formulons par une proposition et une réalité sur laquelle porte cette proposition. Par exemple, si je dis Le chat est sur le tapis », ma proposition porte sur une réalité composée d'un chat et d'un tapis qui sont entre eux dans un certain rapport. Cette réalité n'est donc pas un objet isolé comme chat » ou tapis », mais un fait composé de deux objets dans une certaine relation être sur ». Cette composition se traduit dans ma proposition par un jugement qui énonce cette relation. En conséquence, nous pouvons supposer que la vérité d'une proposition est la correspondance entre un jugement que l'on énonce et une relation entre plusieurs objets, correspondance que l'on constate dans l'expérience je vois le chat qui est sur le tapis. Une proposition un jugement, une croyance, une pensée, etc. est vraie si, et seulement si, elle correspond à un fait. Objections Il semble néanmoins y avoir des cas qui ne correspondent pas à cette définition. Par exemple, si, voyant un arbre, je constate qu'il y a un arbre, il ne semble pas que ma proposition soit un jugement, mais qu'elle soit le simple constat de l'existence d'un objet, et ce constat est vrai ou faux. Toutefois, au témoignage de mes sens je vois une certaine forme colorée d'une certaine manière, s'ajoute mon affirmation que ce que je vois est un arbre et que cet arbre existe. Aussi peut-on penser que le prétendu constat intuitif est en réalité un jugement, et qu'il est conforme à la définition que nous avons donnée de la vérité comme adéquation. Cette définition semble exclure ces propositions dont nous avons vu qu'elles paraissent être toujours vraies, comme les propositions des mathématiques. Nous aborderons ce problème dans la section suivante sur la vérité formelle. Remarque La conception de la vérité comme adéquation suppose que nous puissions vérifier les jugements que nous énonçons en constatant que ceux-ci reflètent bien la réalité dont nous parlons. Nous avons donc un rôle actif dans l'établissement de la vérité. Elle n'apparaît pas d'elle-même, mais est le résultat d'un jugement qui est dans mon esprit et d'une confrontation de ce résultat avec une vérification empirique. Par cette vérification, je dois pouvoir constater que ma proposition reflète bien la réalité le fait dont je parle existe-t-il ou non ? existe-t-il tel que j'en parle, ou autrement ? Problématique La question se pose de savoir ce qu'il faut entendre par reflètent ». En philosophie, on emploie, plutôt que le mot refléter », les termes de correspondance » ou d' adéquation » que nous avons eu déjà l'occasion d'employer. Qu'entendons-nous alors par ces deux termes ? À première vue, la réponse est simple toute proposition serait une idée que nous avons à l'esprit et il suffirait de la comparer avec le témoignage de nos sens pour nous assurer de sa fidélité. Ainsi l'adéquation ou la correspondance est-elle une relation de ressemblance entre ce que nous jugeons et ce sur quoi nous jugeons. Ressemblance/correspondance[modifier modifier le wikicode] Cette conception pose plusieurs problèmes. Tout d'abord, lorsque nous parlons de ressemblance, il ne semble pas que nous ne fassions autre chose que de répéter l'idée même d'adéquation être adéquat, c'est ressembler, mais ressembler, c'est être adéquat. Aussi l'idée de ressemblance demeure-t-elle mystérieuse. Et elle devient encore plus obscure si l'on cherche à comprendre de quelle manière un jugement pourrait ressembler à la réalité sur laquelle il porte. Nos propositions sont formées de mots signes ou sons, alors que les réalités que ces mots désignent sont des objets physiques ou psychiques d'une autre sorte. Il n'y a de toute évidence aucune ressemblance entre les mots et les choses que les mots désignent. On pourrait dire alors comme nous avons eu déjà l'occasion de le dire que les propositions traduisent des images qui sont dans notre esprit, et que ce sont ces images qui sont formées fidèlement ou non sur le modèle des réalités extérieures. Ainsi Wittgenstein dit en ce sens La totalité des pensées vraies est l'image du monde. » Tractatus logico-philosophicus, Nos idées vraies sont une peinture fidèle du monde, et, ajoute-t-il une pensée peut être exprimée dans une proposition en sorte que les éléments du signe propositionnel correspondent aux objets de la pensée. » Puisque ces objets de la pensée exprimés par la proposition sont eux-mêmes des images vraies ou fausses du monde, il en résulte qu'une proposition peut être ou non adéquate aux réalités que nous percevons. C'est une idée assez vraisemblable, car chacun peut faire l'expérience de cette imagerie mentale ; par exemple, le rêve pourrait venir renforcer cet argument, car dans cet état, nous prenons des images produites par notre esprit pour la réalité. C'est donc bien que nos images mentales ont quelque chose en commun avec la réalité et que nous pouvons les comparer. Bien que nous puissions nous demander comment des images ressemblant à la réalité sont produites en général dans notre esprit, nous pouvons constater que c'est le cas. Cependant, cet argument ne fait que reculer le problème. En effet, c'est toujours à l'aide de mots que nous exprimons nos images mentales ... que les éléments du signe propositionnel correspondent aux objets de la pensée » dit Wittgenstein ; or, il faut bien que ces mots expriment convenablement ces images, et donc leur soient adéquats, autrement dit, leur ressemblent. On pourrait alors faire remarquer que cette volonté de faire ressembler une proposition croyance, idée, etc. avec un fait repose sur une confusion. La proposition n'a en effet pas pour but de peindre un fait, mais d'en décrire la structure en reliant des objets et des propriétés entre eux. Il n'y a dès lors pas à chercher une ressemblance comme reflet, mais une correspondance terme à terme entre une proposition et le fait sur lequel elle porte Proposition Un oiseau chante Fait Un oiseau chante » On peut donc proposer cette seconde définition Une proposition un jugement, une croyance, une pensée, etc. est vraie si, et seulement si, sa structure correspond à la structure d'un fait. Le problème du jugement[modifier modifier le wikicode] Une autre difficulté apparaît quand nous considérons cette fois les éléments contenus dans les propositions vraies ou fausses que nous formulons, en estimant que ces propositions doivent correspondre ou non aux choses sur lesquelles elles portent. Admettons qu'une image mentale puisse effectivement être exprimée adéquatement par une proposition je vois dans ma tête que le chat est sur le tapis, le jugement de relation que nous formulons ne paraît pourtant pas pouvoir être contenue dans celle-ci, car l'image que nous avons à l'esprit n'est que la reproduction du témoignage de nos sens et c'est le jugement que nous portons qui introduit une relation qui ne nous est pas donnée par l'expérience. Prenons pour le montrer plus nettement un exemple un peu plus compliqué. Si une boule de billard vient en frapper une autre et la mettre en mouvement, nous pouvons formuler cette proposition que la première est cause du mouvement de la seconde. Nous avons donc, conformément à notre théorie de la vérité comme adéquation, deux objets en relation, relation que nous exprimons par une proposition qui énonce ce lien, ici un lien de causalité. La question que nous posons est où se trouve, dans la réalité et dans l'idée que nous en avons, cette relation de causalité ? Nous ne la trouvons pas, car tout ce que nous voyons ce sont deux objets et deux mouvements successifs, mais la causalité elle-même, nous ne la voyons nulle part, si ce n'est dans notre jugement lui-même. Or, s'il en est ainsi, notre jugement, qui énonce la réalité d'une relation la causalité, porte sur une relation dont nous ne pouvons montrer l'existence. Sauf si nous pouvons faire une démonstration d'une réalité qu'on ne voit pas. Cette mise en défaut de la théorie de la vérité comme adéquation ne se limite pas à ce cas. Prenons l'exemple des lois scientifiques. Selon une conception très simplifiée de la science, les lois forment des théories décrivant et prédisant des phénomènes. Par conséquent, il nous suffit de vérifier dans l'expérience que la description ou la prédiction d'une théorie est fidèle pour garantir sa vérité. Ce n'est toutefois pas le cas, car une loi scientifique ne dit pas seulement, par exemple, que si ce volume d'eau est chauffé à 100 degré alors se produira un phénomène appelé ébullition ; une loi scientifique dit surtout que toutes les fois que de l'eau est chauffée à cette température, alors elle se met à bouillir. Or, aucune expérience ne nous permet de faire le tour de l'ensemble des cas qui vérifieraient qu'il en va bien ainsi. Par conséquent, une loi scientifique ne peut être considérée comme une simple image fidèle de la réalité sensible à l'expérience s'ajoute le caractère universel de la loi, caractère qui n'est pas constatable directement par les sens nous ne voyons pas tous les cas qui pourraient vérifier la loi. Pourtant, la vérité de la loi réside manifestement dans la validité de cette universalité. Bilan[modifier modifier le wikicode] De ces quelques analyses, nous pouvons retenir les deux remarques suivantes la conception de la vérité comme adéquation semble être une conception inspirée de la comparaison directe, que nous pratiquons quotidiennement, entre les sens et une certaine image que nous avons à l'esprit, et elle semble en ce sens assez naïve ; elle échoue ainsi à rendre compte de la vérité des jugements que nous formulons par des propositions dans la mesure où ceux-ci se sont pas réductibles aux seuls témoignages des sens ; la vérité d'une proposition ne peut dépendre de sa seule adéquation aux faits, puisque nous ajoutons par la pensée des relations ou jugements que nous ne trouvons pas directement dans l'expérience. La vérité formelle[modifier modifier le wikicode] Après cette critique de la conception de la vérité comme adéquation, nous pouvons être tenté de trouver dans la manière dont nous formons des jugements le fondement de toute vérité. Cette manière de former des jugements est étudiée par la philosophie depuis l'Antiquité, et c'est ce que nous appelons la logique, dont Aristote est considérée comme l'un des grands initiateurs. Procédant suivant des règles de déduction à partir de postulats et d'axiomes admis, on aboutit à des conclusions valides en vertu de ces seules règles de déduction. Cette vérité est donc indépendante du contenu des propositions, puisqu'elle dépend de son accord avec des lois que nous pouvons considérer comme des lois de notre pensée. Cette sorte de vérité est également dite a priori car elle ne dépend pas de l'expérience. Considérons l'exemple suivant Si la Terre a des ailes, elle vole ; Or, la Terre a des ailes ; Donc la Terre vole. Le contenu de la proposition 2 est évidemment faux et la conclusion n'a pas vraiment de sens. Pourtant, le raisonnement est parfaitement correct. Pour le mettre en évidence, remplaçons ces propositions par des lettres, telles que p = La Terre a des ailes » ; q = la Terre vole ». Nous obtenons une première esquisse de formalisation si p alors q p q L'ensemble des règles de déduction, des postulats et des axiomes forment un système hypothético-déductif. Ce dernier point permet d'introduire une distinction les vérités purement formelle et a priori sont appelées des vérités analytiques. Ces vérités sont nécessaires et ne nous apprennent rien sur le monde. Les vérités tirées de l'expérience sont quant à elle des vérités synthétiques, car nous lions des termes qui supposent pour des êtres dont l'existence est contingente. La vérité cohérence[modifier modifier le wikicode] La vérité d'une croyance ou d'une opinion n'est pas seulement une qualité que nous croyons pouvoir attribuer en nous fondant sur la connaissance de faits, et il arrive en outre bien souvent que nous tenions une proposition pour vraie en dépit de la logique. Autrement dit, la justification de nos croyances peut dépendre uniquement d'un arrière-plan constitué par d'autres croyances la vérité d'une proposition tient alors du fait qu'elle s'accorde à un ensemble de croyances qui lui préexistent. Ce genre de vérité est souvent appelée vérité cohérence. Définition Une croyance est vraie si, et seulement si, elle est une partie d'un système cohérent de croyances. La vérité métaphysique[modifier modifier le wikicode] La vérité que nous appellerons métaphysique est une vérité d'une sorte encore différente des précédentes, et elle a une longue et riche tradition philosophique. Nous désignerons par cette expression l'idée que la vérité est quelque chose que nous saisissons en soi par l'esprit. Elle tend à identifier la pensée et l'être, l'idée et son objet, la connaissance et l'essence. Nous trouvons ce type de vérités non seulement en métaphysique mais aussi en théologie. Il serait possible de faire une typologie des conceptions d'une saisie d'un en-soi, mais nous nous contenterons ici de deux illustrations, Platon et Bergson. Intuition des réalités vraies[modifier modifier le wikicode] Pour Platon, qui, remontant d'une hypothèse à ses conditions, suppose l'existence d'un référant ontologique existant en soi. Dans ce cas, on distingue vérité absolue et vérité relative. Vision immédiate[modifier modifier le wikicode] Critiques[modifier modifier le wikicode] Ainsi, la vérité métaphysique consiste a déduire d'un ensemble d'hypothèses ou de faits d'expérience, une condition elle-même inconditionnée. Dieu, les Idées, l'âme, le commencement absolu du monde, et même la conscience en tant que fondement de la connaissance dans l'idéalisme, sont des exemples de telles conditions ontologiques. Théorie pragmatiste[modifier modifier le wikicode] Les théories pragmatistes de la vérité sont elles-mêmes plurielles et complexes. Chez Habermas, par exemple la vérité se confond avec la notion de validité intersubjective. Théorie déflationniste[modifier modifier le wikicode] La théorie déflationniste de la vérité consiste à dire qu'il n'y a aucune différence entre dire que p est vrai et dire que p. La vérité, de ce point de vue, n'apporte rien à ce que nous affirmons. En effet, si je dis le ciel est bleu, cela semble impliquer c'est le cas que le ciel est bleu. Histoire du vrai et du faux[modifier modifier le wikicode] La première signification de Vrai et de Faux semble avoir son origine dans les récits ; et l’on a dit vrai un récit, quand le fait raconté était réellement arrivé ; faux, quand le fait raconté n’était arrivé nulle part. Plus tard, les philosophes ont employé le mot pour désigner l’accord d’une idée avec son objet ; ainsi, l’on appelle idée vraie celle qui montre une chose comme elle est en elle-même ; fausse, celle qui montre une chose autrement qu’elle n’est en réalité. Les idées ne sont pas autre chose en effet que des récits ou des histoires de la nature dans l’esprit. Et de là on en est venu à désigner de la même façon, par métaphore, des choses inertes ; ainsi, quand nous disons de l’or vrai ou de l’or faux, comme si l’or qui nous est présenté racontait quelque chose sur lui-même, ce qui est ou n’est pas en lui. Baruch Spinoza, Pensées métaphysiques 1663, 1er partie, chap. VI, Gallimard, La Pléiade », trad. R. Caillois. Vérité et connaissance[modifier modifier le wikicode] Venons-en maintenant à la question de savoir quelle est la place de la vérité par rapport à la connaissance. Nous avons fait jusqu'ici comme si la vérité pouvait être trouvée dans des propositions isolées portant sur des faits eux-mêmes isolés atomisme, mais l'idée de la vérité cohérence nous a montré qu'un tel isolement n'existe peut-être pas, ou du moins ne représente qu'un cas particulier douteux de vérité se présentant sous forme de vérité particulière. Nous voyons ainsi que les systèmes philosophiques et les théories scientifiques sont constitués d'un ensemble organisé de propositions tenues pour vraies qui ne sont pas indépendantes les unes des autres. Ces systèmes, comme ces théories, ont l'ambition de nous donner une connaissance aussi exacte que possible des objets étudiées, voire de la réalité dans son ensemble. Cela pose non seulement la question de savoir comment il faut comprendre la notion de vérité dans de tels ensembles, autrement dit la question des relations entre vérité et connaissance ; mais aussi celle de la vérité en philosophie, car, s'il peut paraître évident qu'un philosophe cherche la vérité, les sciences semblent bien les disciplines les mieux placées pour nous fournir toutes les vérités possibles, en sorte qu'il n'y aurait pas, à côté de cela, de vérités philosophiques. Vérité, sciences et certitude[modifier modifier le wikicode] Revenons sur la brève évocation que nous avons faite de la science dans notre critique de la vérité comme adéquation. Nous avons soutenu que les lois scientifiques ne pouvaient être de simples représentations dont la vérité se manifesterait par une comparaison directe avec la réalité sensible. Nous allons développer et préciser ce point en exposant les réflexions du chimiste et philosophe Pierre Duhem 1861 - 1916 au sujet de l'expérience en physique dans La Théorie physique, son objet, sa structure. Ces réflexions nous permettront de nous faire une idée moins abstraite de la vérité, de l'inscrire dans un processus de recherche et donc dans une temporalité et nous verrons que nous pourrons à partir de là esquisser une analyse des rapports entre vérité et certitude. Au chapitre IV de la seconde partie de la Théorie physique, Duhem soutient que le résultat de l'activité d'un physicien expérimentateur n'est pas le constat de certains phénomènes, mais un énoncé d'un jugement reliant des notions qui ne correspondent à des observations que par l'intermédiaire d'une théorie. ... Au terme de l'examen de ces réflexions de Duhem, nous nous trouvons en présence de deux manières d'établir la vérité ; l'une est grossière et immédiate, l'autre est détaillée et demande un long processus de traduction pour parvenir à des énoncés scientifiques. Duhem tire de cette distinction une conséquence étonnante, en ce qu'elle va à l'encontre d'un préjugé au sujet des vérités scientifiques celles-ci seraient dotées du plus haut degré de certitude que l'homme puisse atteindre. Duhem montre précisément en quoi consiste la fausseté de ce préjugé. La certitude immédiate des sens est solide et laisse peu de place au doute, hormis les cas pathologiques ; les vérités scientifiques sont au contraire le résultat de processus complexes et difficiles d'interprétations des phénomènes et de corrections des observations. On comprend que l'erreur puisse plus facilement se glisser dans ces processus que dans l'observation immédiate que chacun peut faire dans la vie ordinaire. La certitude des vérités scientifiques est donc moins assurée que la vérité de l'intuition directe des faits. Vérité et philosophie[modifier modifier le wikicode] Que reste-t-il à la philosophie en matière de connaissance, dès lors que les sciences ont repris et reprennent à leur compte ce qui a été, à des époques différentes, l'objet de l'enquête philosophique ? Il est par exemple bien évident que le philosophe ne peut plus faire de physique, comme c'était le cas des Présocratiques. Une discipline à la fois ancienne et récente comme la logique est devenue très spécialisée, sous l'impulsion d'ailleurs de philosophes de la fin du XIXe et du XXe siècle. La philosophie, semble-t-il, est comme le précurseur de toutes les sciences particulières, et ouvre la voie à de nouveaux domaines de connaissance, qui, une fois bien établis, deviennent des disciplines scientifiques qui ne relèvent plus fondamentalement de la philosophie. On pourrait alors dire que, tant qu'un domaine de connaissances relève de la philosophie, il ne s'agit pas encore de connaissances bien assurées. Ainsi, si certaines parties de la philosophie physique, psychologie, logique sont devenues des sciences, d'autres sont loin d'avoir acquis ce statut, ou sont même soupçonnées de n'être finalement que des illusions de connaissances, comme dans le cas de la métaphysique. Dans ce cas, il est difficile de considérer la philosophie comme un genre de connaissance telles que les sciences elle ne possède pas de vérités à elle, mais, par un travail de clarification de nos pensées et de nos méthodes, elle est une aide indispensable au commencement de toute science, voire elle aide à élucider certaines notions scientifiques embrouillées. Nous proposons d'examiner et de discuter ici ces deux idées que nous venons de formuler La philosophie n'est pas une science ; Elle n'est pas une recherche de vérité philosophique, mais une activité de clarification de la pensée et de la connaissance. La philosophie n'est pas une science[modifier modifier le wikicode] L'idée que la philosophie n'est pas une science est sans doute assez répandue de nos jours. Il y a plusieurs raisons à cela. En premier lieu, le développement des sciences à l'époque moderne a conduit à retirer à la philosophie sa prétention à être la reine des sciences, prétention incarnée tout particulièrement par la métaphysique appelée également philosophie première. La métaphysique est en effet une discipline qui étudie les principes les plus généraux de la réalité ou de l'être et elle se situerait pour cette raison au-dessus de toutes les formes particulières de connaissance. Or, face aux sciences nous verrons pourquoi un peu plus bas, une telle discipline peut apparaître ne formuler aucune vérité vérifiable par exemple, sur Dieu, sur l'âme ou aucune vérité qui ne serait pas mieux formulée dans le cadre de telle ou telle science sur l'espace, le temps, la causalité ; c'est pourquoi, la métaphysique est apparue vide de tout contenu. Une autre raison est que la philosophie a conservé pour nous la dimension pratique qu'elle possède depuis ses origines, et, qu'à défaut d'être considérée comme une science, elle reste une discipline censée offrir des réponses aux questions morales et, plus généralement, aux problèmes que nous pose notre existence et à laquelle la philosophie serait chargé de donner du sens. Or, ces questions sont rarement considérées comme des questions scientifiques car elles portent sur des valeurs comme le bien et des comportements humains qu'il est difficile de quantifier, de théoriser et de prédire. C'est d'ailleurs aussi pourquoi ces questions ont parfois une tonalité polémique à l'égard des sciences, car ces dernières réduiraient indûment l'être humain à un objet d'étude parmi d'autres. Ainsi réduite à des questions d'ordre pratique, la philosophie ne pourrait donc plus prétendre au statut de science. Une telle idée de la philosophie dans ses rapports à la science idée qui recouvre bien entendu une très large variété de points de vue était étrangère aux premiers philosophes qui s'occupaient de cosmologie en philosophes on les désigne d'ailleurs en tant que philosophes de la nature, mais aussi aux philosophes hellénistiques stoïciens, épicuriens, qui, malgré leurs préoccupations morales, considéraient la physique comme une partie essentielle de la philosophie. Mais, par dessus tout, c'est la conception même de la science qui était bien différente de la nôtre, et cette différence va nous permettre de comprendre comment la connaissance et la vérité étaient conçues par eux. Prenons l'exemple de Platon et de sa théorie de la connaissance. Pour Platon, la science véritable est un contact de la partie intellectuelle de l'âme avec des réalités fondamentales sous-jacentes au monde qui nous est donné par les sens. De ce fait, connaître, c'est être affecté par ces réalités, et celui qui sait, le savant, ou philosophe, possède la vérité dans l'exacte mesure où il a une vision des réalités véritables. Nous avons donc là une conception métaphysique de la vérité, bien que le terme métaphysique » soit ici anachronique il faut, pour atteindre la vérité, remonter des impressions sensibles à des entités absolues qui en sont les causes. Dans cette conception, la science est un état de l'âme de celui qui connait il est parvenu, par un processus dialectique, à la contemplation de ces réalités, que l'on désignera du terme de Formes. Cet état est celui de la sagesse, et celui qui connaît ainsi est un sage ou un savant sophos admettant les deux traductions. Tous les philosophes antiques, même s'ils ne partagent pas la théorie platonicienne de la connaissance, conçoivent la science comme un état. Les sciences modernes se présentent de manière bien différente, par exemple comme des ensembles organisés de propositions. L'état du sujet connaissant n'est pas primordial, ou relève de la psychologie. Il est même indifférent de savoir si le scientifique est un sage contemplant des Formes la vérité des hypothèses ne dépend pas de la relation de son âme à une réalité absolue, mais, par exemple, de procédures de vérifications qui requiert une activité interindividuelle complexe. Cette transformation de la notion de science, qui a lieu à partir du 16e siècle, conduit naturellement à contester au philosophe son statut platonicien de maître de vérité. La raison en est très simple. Si l'on considère que la vérité de nos connaissances sur le monde ne peut être établie que par une validation empirique, les propositions métaphysiques ne sont tout au plus que des illusions sur nos capacités de connaître, et elles sont en tout cas dépourvues de sens parce qu'elles ne portent sur rien de vrai ni de faux. Il est important de saisir toute l'importance de cette dernière remarque pour la philosophie. Ce sera l'objet de la section suivante. La philosophie n'a pas de vérités qui lui soient propres[modifier modifier le wikicode] Si en effet toute vérité repose en dernier ressort sur les données de nos sens, il n'est pas possible de constituer un ensemble de connaissances hors de cette limite. La métaphysique est donc obsolète, et la philosophie est purement et simplement remplacée par les sciences. Faut-il alors déclarer la fin de la philosophie ? Mais le rejet de la métaphysique n'a pas entrainé avec elle le rejet de la philosophie toute entière. Plusieurs conceptions de la philosophie demeurent en effet possibles. Tout d'abord, la philosophie peut avoir pour tâche de délimiter le domaine légitime de nos connaissances. Elle est alors une théorie critique de la connaissance qui s'occupe de montrer de quelle manière les propositions que nous formulons sont ou non légitimes. Dès lors, elle peut être une activité réflexive sur des connaissances déjà constituées, ou qui se prétendent telles, et, en clarifiant les conditions d'utilisation et de validation de ses connaissances, elle en évalue la légitimité. La vérité comme norme morale[modifier modifier le wikicode] Les sections précédentes ont tracé, dans leurs grandes lignes, plusieurs conceptions de la notion de vérité. Bien que ces exposés soient abstraits et aient surtout rapport à la connaissance, leurs liens à la pratique et à la vie quotidienne sont demeurés évidents tout du long, puisque, par exemple, nos propositions les plus triviales peuvent être des illustrations de la problématique de la vérité comme correspondance et la manière dont nous en venons à tenir une croyance pour vraie peut illustrer la vérité comme vérité cohérence. Mais nous en sommes restés à une approche purement intellectuelle, et nous n'avons pas encore considéré ce qu'il en est de notre rapport à la vérité à la lumière de nos sentiments et de nos valeurs morales. Dans cette section, nous aborderons la question des rapports de la vérité et de la morale de deux points de vue. D'une part, nous nous demanderons si, et dans quelle mesure, les jugements moraux par exemple Voler est mal » sont susceptibles d'être vrais ou faux. Pour répondre à cette question, il nous faudra principalement nous demander si, dans le cas où une telle chose existe, la vérité des jugements moraux est d'une nature particulière. D'autre part, nous allons nous préoccuper de ces rapports moraux à la vérité que l'on désigne par des noms de vertus ou de vices la véracité et la sincérité, le mensonge, la confiance, la tromperie, etc., c'est-à -dire que nous allons passer de l'idée de vérité comme norme de connaissance, à l'idée de vérité comme norme morale, et que nous allons nous demander si la vérité peut avoir et si oui, dans quelles conditions force d'obligation morale. Vérité et jugement moral[modifier modifier le wikicode] De quelle vérité sont susceptibles les jugements moraux comme voler est mal », l'altruisme est une vertu » ? Si nous pensons que de tels jugements peuvent être vrais ou faux, alors nous devons les tenir pour des propositions comparables à celles que nous avons examinées plus haut. Cela nous donne un point de départ, car, pour répondre à cette question, il nous suffit de nous demander si ce sont des propositions portant sur des réalités du monde extérieur comme celles des sciences de la nature ou des propositions vraies en vertu de leurs composants comme celles de la logique et des mathématiques. Or, à l'évidence, les propositions morales ne sont ni des vérités logiques ou mathématiques, ni des vérités de faits. Certes, nous pouvons raisonner à partir de jugements moraux, en déduisant par exemple que de telle vérité morale générale par exemple voler est mal » appliquée à tel acte, il s'en suit que l'acte en question est bon ou mauvais. Mais la proposition morale dont nous partons n'est pas une proposition vraie en vertu de ses composants en effet, de la notion de vol, nous ne pouvons déduire la notion de mal. Cela se voit d'ailleurs bien dans le fait que les propositions morales sont rarement tenues pour vraies en toutes circonstances dans certains cas, nous pouvons admettre que le vol est, par exemple, une nécessité. Or, les propositions vraies en vertu de leurs composants sont toujours vraies ; par conséquent, les propositions morales ne sont pas de ce genre. Les jugements moraux ne sont pas non plus des jugements portant sur des faits. Nous voyons bien qu'il y a un ensemble d'actions que nous pouvons qualifier de généreux, d'altruistes, etc. ; mais la qualité attribuée la générosité, l'altruisme, etc. n'est pas un fait extérieur observable. Il ne peut donc y avoir adéquation ou correspondance entre un jugement moral et une réalité empirique. Nous pouvons alors dire que les propositions morales, si elles sont vraies, ne sont vraies ni par un raisonnement purement formel, ni par une éventuelle possibilité de les vérifier empiriquement. Ce résultat est embarrassant, car nous ne semblons pas posséder de conception de la vérité telle que nous puissions dire qu'une proposition morale est vraie, et, dès lors, la morale apparaît impossible à fonder ; mais, puisqu'elle ne renvoie à aucun fait, tout en portant sur certaines sortes de réalités physiques les actions humaines, la morale ne serait pas non plus réfutable, puisqu'il n'y a rien dans le monde qui puisse contredire un jugement moral. Cependant, nous n'avons pour le moment examiné les jugements moraux qu'à la lumière de ce qu'est une proposition. Lorsque nous nous sommes efforcés de comprendre la nature de la vérité, nous avons en revanche montré qu'il existe différentes conceptions de celle-ci, et il se peut que l'une de ces conceptions nous éclaire sur les rapports de la morale à la vérité. Voyons donc à présent à quel genre de vérité la vérité morale pourrait appartenir. Sujets de dissertation[modifier modifier le wikicode] Nous avons réunis dans cette section quelques sujets de dissertations, et nous les avons regroupés par thèmes les limites entre ces thèmes ne sont bien sûr pas imperméables. Nous n'allons pas traiter ces questions une par une, mais, pour chaque thème, nous proposerons quelques réflexions qui pourront peut-être vous servir de point de départ et que vous pourrez compléter à l'aide de l'article lui-même, les extraits que nous donnons ci-dessous et la bibliographie. Ces questions permettront en outre de traiter dans les grandes lignes les points que nous n'avons pas abordés, bien que ce ne soit pas sous la forme de réflexions développées, mais d'esquisses de problématiques. Définition, nature de la vérité, vérité et histoire[modifier modifier le wikicode] La vérité Qu'est-ce que la vérité ? Toute vérité est-elle particulière ? Y a-t-il une vérité des apparences ? La vérité est-elle soumise au temps ? La vérité a-t-elle une histoire ? On peut commencer par distinguer au moins deux sens dans cette question. La vérité a une histoire au sens où elle est elle-même sujette à des changements, comme l'individu qui a une vie ; mais la vérité peut avoir une histoire au sens où sa découverte n'est pas immédiate elle fait l'objet de recherches qui permettent de se rapprocher d'elle peu-à -peu. Le premier sens apparaît d'emblée contradictoire, car changer, pour une vérité, c'est devenir faux. Donc, la vérité ne semble pas avoir d'histoire en ce sens. Le second sens apparaît quant à lui trivial au premier abord. Il est évident que nous ne découvrons que peu de vérités du premier coup ; les sciences en sont un exemple de premier ordre. Pourtant, si histoire de la vérité il y a en ce sens, n'est-ce pas plutôt une histoire de nos erreurs ? En effet, s'il y a réellement un progrès dans nos connaissances, ce progrès s'accompagne très souvent de la réfutation des vérités qui étaient admises et qui ne sont donc plus des vérités. Aussi, l'histoire de la vérité serait-elle en réalité l'histoire des vérités réfutées. On voit que le sujet est difficile à problématiser, car les deux sens possibles ne semblent pas permettre d'attribuer une histoire à la vérité en elle-même. On peut alors tenter l'approche suivante distinguer la notion de vérité de la conception que nous en avons ; si la notion elle-même ne paraît pouvoir être historique sans contradiction, notre conception de la vérité a à l'évidence une histoire. Critères/conditions de la vérité[modifier modifier le wikicode] Existe-t-il des critères du vrai ? La vérité dépend-elle de nous ? Pour bien traiter ce sujet, il faut avoir à l'esprit que le verbe dépendre doit faire l'objet d'une analyse tout autant que les mots vérité et nous. Sans cela, le travail de réflexion sera confus. En effet, dépendre a plusieurs sens si l'on ne retient que l'idée que la vérité est ce que nous décidons, on rate complètement l'intérêt philosophique de la question, car il serait assez trivial de se contenter d'un relativisme qui ferait dépendre la vérité de notre subjectivité par exemple. En revanche, la vérité peut dépendre de nous au sens où la vérité n'est pas dans les choses mais dans notre esprit voyez ce que nous avons dit à propos d'Aristote, entre autres, et de là se pose de manière bien plus pertinente la question de savoir si cette relation à l'esprit dépend de notre subjectivité disons par exemple de nos sentiments, de nos opinions, etc. ou de notre intellect et de sa capacité à juger des choses telles qu'elles sont. On pourra alors se demander si la vérité est une réalité psychologique ou une norme pour notre esprit, et voir dans chaque cas en quoi elle dépend de nous. Je ne crois que ce que je vois. » Est-ce la une bonne méthode pour découvrir la vérité ? ex. La victime d'un adultère ne le voit pas, pourtant, la réalité attestée par les coupables prouve cette nouvelle vérité elle est cocue. Toute vérité peut-elle se passer de preuve ? La vérité est-elle discutable ? Tant qu'une 'vérité' est en réalité une proposition, elle est discutable. Y a-t-il des vérités définitives/indiscutables ? N'y a-t-il de vérité que dans la science ? Ne faut-il tenir pour vrai que ce qui peut-être démontré ? Les vérités mathématiques constituent elles le modèle de toute vérité ? L'unanimité est-elle un critère de la vérité ? Si on réuni une majorité d'ignorants qui sont unanimes dans l'erreur obtient-on la vérité? Une pensée cohérente est-elle nécessairement vraie ? Si une pensée composée de 5 informations peut être cohérente, on peut aboutir à une toute autre conclusion ou pensée si on y ajoute une nouvelle information. La terre est plate, c'était cohérent à l'époque mais faux selon la réalité. Depuis, on a démontré et prouvé qu'elle est ronde; c'est aussi cohérent mais cela repose sur des réalités et non de simples pensées. Plus les composantes de la pensée sont des faits incontestables et si tous les faits sont réunis, alors on obtient ou l'on s'approche de la vérité. Recherche de la vérité, valeur, norme[modifier modifier le wikicode] Pourquoi l'homme cherche-t-il la vérité ? Peut on ne pas désirer la vérité ? Peut-on dire la vérité ça m'est égal ? Peut-on ne pas vouloir rechercher la vérité ? Douter, est-ce renoncer à la vérité ? Dans les questions qui touchent à la valeur de la vérité vérité comme norme, il faut prendre soin de distinguer même si c'est pour discuter cette distinction la valeur de la vérité comme norme morale par exemple, on veut la vérité, car on ne veut pas être trompé, car il ne faut pas mentir, etc. de la valeur de la vérité dans le domaine de la connaissance. De plus, on peut décrire des motivations très différentes psychologiques, morales, intellectuelles pour répondre à la question de savoir pourquoi nous cherchons la vérité. Il est également important de distinguer l'attitude de l'homme par rapport à la vérité désir, volonté, etc., sont du domaine psychologique et morale de la vérité comme notion. Dans les questions ci-dessus, c'est le premier point qui est mis en avant, ce qui ne veut pas dire que l'on ne doit pas examiner la notion de vérité, mais que les différentes idées que l'on peut se faire de la vérité doivent être considérées à la lumières de notre attitude à son égard. La première distinction permet de voir qu'il y a de nombreux problèmes dans l'affirmation que l'on ne désire pas la vérité, que la vérité nous est égale si l'on ne veut pas chercher la vérité, est-ce à dire que nous préférons le mensonge domaine morale, l'erreur domaine de la connaissance, l'illusion conception de la réalité ? Il faut pouvoir répondre à ces différents points pour parvenir à justifier que la vérité nous indiffère, et on voit, en posant ces questions, que ce n'est pas si facile. Si la question porte sur une question de possibilité Peut-on ne pas vouloir rechercher la vérité ?, on pourra utilement s'interroger sur le caractère intentionnel d'un rejet de la vérité et sur son authenticité le menteur compulsif, le mythomane, par exemple, sont des cas pathologiques qui montrent que l'on peut rejeter la vérité, mais qu'il ne s'agit pas d'une volonté. Mais même le menteur ne renonce pas à la vérité, car, pour mentir, il faut admettre qu'il y a de la vérité, et, bien plus, il faut la chercher dans la mesure où cette recherche permet le mensonge. L'artiste serait-il un exemple de volonté, de désir véritable de préférer l'apparence à la vérité, comme le soutient Nietzsche ? On peut penser au contraire, et cela en suivant Nietzsche, que l'art est en réalité un moyen de révéler une vérité plus fondamentale, une vérité métaphysique à propos de notre existence. Même si cette conception est fausse, on voit que le désir de vérité est difficile à éliminer. On pourrait se demander si l'homme n'est pas condamné à vouloir la vérité. Mais pourquoi ? Pourquoi est-il si difficile d'éliminer l'idée de vérité comme norme de nos jugements et de nos pensées et même de nos actions ? Si nous montrons que c'est une tâche impossible, nous montrons du même coup qu'il est impossible de renoncer à la vérité, et que l'indifférence à son égard est illusoire ou inauthentique. Prenons le cas du doute qui, dans sa forme généralisée, peut apparaître comme un renoncement à la vérité, comme une forme d'indifférence. Lorsque nous doutons, nous sentons que la vérité nous échappe. Si nous restons dans cet état de doute, nous ne renonçons pas à la vérité, puisque cet état n'a de sens que par rapport à la vérité. Mais surtout, lorsque nous doutons, nous cherchons une issue à nos doutes. Nous pouvons en proposer une explication anthropologique le doute est, dans l'action, synonyme d'hésitation ; l'hésitation produit la paralysie qui nous conduit finalement à l'échec. L'échec diminue notre pouvoir et est une source de déplaisir. Dans la recherche de moyens de survie, le doute est également synonyme de blessures et de mort. La connaissance de la réalité est au contraire une bonne condition de survie. La recherche de la vérité pourrait être alors à l'origine un instinct qui s'est par la suite intellectualisé et qui a ainsi contribué à former de manière essentielle notre humanité. Nous obtenons ainsi une explication à la fois simple et, par bien des aspects, triviale, de notre désir de vérité le plaisir et la douleur que nous cause la réalité nous conduisent à préférer des représentations correctes de ce qui est. Dans l'action et dans la nécessité de survivre, la sanction du réel est impitoyable. Diversité des opinions, relativisme[modifier modifier le wikicode] La diversité des opinions rend elle vaine la recherche de la vérité? Peut-on dire à chacun sa vérité ? De quelle vérité l'opinion est-elle capable ? Dans ce genre de questions, il faut vraiment faire attention à éviter ces facilités que l'on rencontre aujourd'hui un peu partout, et qui se résument toutes à peu près ainsi la vérité est une question de point de vue, il n'y a pas de vérité absolue. Ce sont des facilités, car elles n'ont pas un fondement théorique particulièrement élaboré, ce qui permet de les réfuter facilement si la vérité est une question de point de vue, la proposition la vérité est une question de point de vue » est une question de vue, et il donc parfaitement raisonnable de ne pas la tenir pour vraie. En outre, il est très difficile de soutenir un tel point de vue lorsqu'on le confronte à certaines réalités par exemple, la vérité de 2 + 2 = 4 » dépend-elle de nos opinions ? Chacun peut-il avoir son opinion sur, par exemple, la dimension de la Terre ou la composition moléculaire de l'eau ? La conséquence ultime du à chacun sa vérité » est que la réalité dépend du point de vue de chacun. Il est sans doute préférable de chercher à déterminer les domaines dans lesquels il y a effectivement, et de manière inévitable, une diversité d'opinions, et les domaines où cette diversité est surtout le résultat de l'ignorance. Dans une telle approche, on peut par exemple estimer que la recherche de la vérité en politique est vaine, parce que l'objectif en politique est de trouver la meilleure manière de faire coexister des individus qui ont des opinons différentes, et non de leur dire ce qu'ils doivent penser ; et, en même temps, on peut estimer que la diversité des opinions dans les sciences est inhérente à notre ignorance naturelle et à la nécessité de formuler des hypothèses pour y remédier, ce qui rend justement la diversité des opinions indispensable. Cette distinction évidemment sommaire de deux domaines politique et sciences devrait ainsi vous convaincre de la nécessité de ne pas faire des réponses en gros, des réponses générales, qui n'ont plus guère d'intérêt dès qu'on les applique à des problèmes ou des situations particulières. Voyons cela plus précisément en proposant une esquisse de réponse à la troisième question de notre liste De quelle vérité l'opinion est-elle capable ?. Si nous partons de l'idée que chacun possède sa vérité, quelle conception de la vérité peut nous faire comprendre, d'une part, que chacun puisse en effet avoir sa vérité, et, d'autre part, que toutes les opinions des hommes peuvent prétendre à la qualité de vérité ? À l'évidence aucune, car chacun, justement, a sa vérité, et donc aussi sa conception de la vérité qu'il ne partage pas avec ses semblables. Le problème devient déjà plus intéressent si nous distinguons des domaines, comme nous l'avons fait ci-dessus. Dans le domaine politique, il serait possible de comprendre la vérité, pour chacun, comme l'opinion qu'il se fait de la vie la meilleure en société dans la mesure où celle-ci est compatible avec une vie commune ; chacun à ainsi une part à une conception générale de la société, disons, par exemple, la conception démocratique. Par rapport aux sciences et à la connaissance, l'opinion peut être caractérisée de manières très diverses qui reflètent sa diversité et l'impression de à chacun sa vérité » que nous pouvons en retirer si c'est un jugement qui ne repose sur aucun fait ni aucune théorie, si elle est contredite par des faits, alors cette opinion est fausse et si nous tenons que toute opinion est fausse, alors nous pouvons aussi estimer que la diversité des opinions vient de l'erreur, du fait qu'elle n'est pas capable de vérité ; en revanche, l'opinion peut être une hypothèse et donc une proposition dont la vérité n'est pas encore assurée mais que l'on va pouvoir vérifier dans ce cas, l'opinion tend vers la vérité, elle est capable de vérité dans cette mesure - la diversité des opinions tient alors au fait que la vérité n'a pas encore été établie; l'opinion peut être aussi un jugement vrai, mais dont on ne sait pas pourquoi il est vrai pensez aux connaissances scientifiques dont vous disposez parce que vous les avez apprises, entendues ou lues, mais dont vous ne connaissez pas la justification théorique. Dans ce cas, l'opinion est une vérité non justifiée, c'est un savoir que vous possédez, mais sans en avoir la certitude dans ce cas, l'opinion est pleinement capable de vérité, et la diversité des opinions tient au fait que l'absence de certitude et de justification permet que des erreurs ou des déformations s'y introduisent. Le résultat de ces quelques réflexions, est qu'il est possible de distinguer plusieurs manières pour l'opinion de se rapporter à la vérité, et ces manières vont du faux à la vérité elle-même, en passant par l'incertain et l'opinion commune à propos d'une conception comme le meilleur régime politique. Ce résultat montre aussi que l'on ne peut pas dire dans tous les cas et pour les mêmes raisons que chacun peut posséder sa vérité dans certains cas, il s'agit d'ignorance, de préjugés, dans d'autres, d'opinions mal assurées, d'hypothèses, etc.. Enfin, ce résultat montre aussi que la diversité des opinions est loin de rendre vaine la recherche de la vérité. Vérité, morale, politique[modifier modifier le wikicode] La vérité est elle libératrice ? La vérité est-elle tyrannique ? Y a-t-il des vérités préjudiciables ? La tolérance exclut-elle toute référence à une vérité ? Doxographie et textes[modifier modifier le wikicode] Nous avons jusqu'ici proposé une analyse de la notion de vérité et des problématiques qui lui sont liées. Nous allons à présent exposer quelques théories sur la vérité soutenue par les philosophes. Si nous n'abordons ces théories que maintenant, c'est parce qu'il fallait d'abord comprendre les problèmes, avant de voir comment ils ont été traités. De cette manière, on assimilera mieux la pensée de ces philosophes, au lieu de l'apprendre par cœur et de la réciter dans une dissertation. Aristote[modifier modifier le wikicode] Ce n'est pas parce que nous pensons d'une manière vraie que tu es blanc, que tu es blanc, mais c'est parce que tu es blanc, qu'en disant que tu l'es, nous disons la vérité. » Métaphysique, Livre Gamma, 4, 1006a 10-12, trad. Tricot, Vrin Commentaire la vérité de nos pensées repose sur une réalité qui nous est extérieure, qui ne dépend pas de nous et qui précède ce que nous pensons. Nous n'inventons pas la réalité que nous pensons l'esprit ne créé pas un objet en sorte que cet objet lui corresponde ; au contraire, l'objet existe en dehors de la pensée vraie, et donc avant elle. Mais cela ne veut pas dire pour Aristote que nous trouvons la vérité dans les choses, bien que la vérité soit l'un des sens de l'être c'est-à -dire qu'elle est une sorte de la réalité Qu’il nous suffise d’avoir remarqué que la convenance ou la disconvenance du sujet et de l’attribut existe dans la pensée et non dans les choses, et que l’être en question [celui de la vérité] n’a pas d’existence propre [...] » Métaphysique, Livre E, 4, 1027b La vérité existe dans la pensée, et elle a une réalité différente de la réalité des choses mais qui en dérive car notre pensée est une réalité vraie dans la mesure où elle dit ce qui est, aussi est-elle une affection ou une modification de la pensée et elle n'existe pas par elle-même. La vérité au sens de correspondance a été définie par Aristote dans De l'Interprétation, œuvre où il analyse la formation des propositions logiques, c'est-à -dire les parties du discours susceptibles d'être vraies ou fausses. Une proposition est vraie quand on dit que ce qui est est ou que ce qui n'est pas n'est pas ; elle est fausse quand on dit que ce qui est n'est pas ou que ce qui n'est pas est. Cette vérité est appelée aussi la vérité correspondance. Ce type de vérité concerne la recherche scientifique. Cette conception est fortement réaliste, car nous disons par exemple que le chat est sur le tapis est vrai parce qu'il est sur le tapis, et non l'inverse. Le problème est alors de savoir ce qu'il faut entendre par correspondance. Une proposition vraie est-elle vraie parce qu'elle ressemble à ce qu'elle signifie ? Non, car une proposition est faite de mots qui ne ressemblent pas à des faits. C'est donc que le sens de la proposition exprimerait quelque chose de la réalité ; mais le problème de cette théorie est de savoir comment cela est possible. Malgré sa théorie du syllogisme, il ne semble pas qu'Aristote soit parvenu à distinguer les deux premiers sens de la vérité. On trouve en revanche cette distinction dans la logique stoïcienne, exposée par Sextus Empiricus dans ses Esquisses Pyrrhonnienne. L'analyse stoicienne de l'implication permet en effet de valider des propositions telles que si la terre a des ailes, elle vole ; les deux parties de l'implication sont matériellement fausses, et pourtant le raisonnement est valide. Thomas d'Aquin[modifier modifier le wikicode] Le vrai est à la fois dans l'intellect et dans les choses. Toutefois, le vrai qui est dans les choses est substantiellement identique à l'être ; et le vrai qui est dans l'intellect est identique à l'être, mais comme une représentation l'est à ce qu'elle représente [...]. » Somme théologique, I, q. 16, a. 3 Remarque On voit que, au contraire d'Aristote, cette conception de la vérité assimile la vérité à l'être ou à la réalité, la vérité dans l'esprit étant dérivée, en tant que représentation, de la vérité dans la réalité, tout en étant cependant identique à l'être. On peut objecter à cette conception qu'elle est contradictoire et distingue deux vérités car la vérité dans l'esprit est la vérité de la représentation, donc d'une relation entre ce que nous pensons et la réalité de ce que nous pensons, alors que la vérité dans les choses est simplement identique à la réalité. Pourtant, le vrai dans l'intellect, assimilé à une représentation de l'être, est en même temps identique à l'être. Il y a donc là une hésitation entre la séparation et l'identification de la pensée et de l'être. Cette conception qui identifie vérité et réalité était répandue au Moyen Âge ; elle ne l'est plus guère de nos jours. Hobbes[modifier modifier le wikicode] Le vrai et le faux sont des attributs du langage, non des choses. Et là où il n'y a pas de langage, il n'y a ni vérité ni fausseté. » Léviathan, chap. 4, trad. G. Mairet, Folio Essais, p. 102. Pascal[modifier modifier le wikicode] La vérité doit toujours avoir l'avantage, quoique nouvellement découverte, puisqu'elle est toujours plus ancienne que toutes les opinions qu'on en a eues, et que ce serait ignorer sa nature que de s'imaginer qu'elle ait commencé d'être au temps qu'elle a commencé d'être connue. » Sur le traité du vide Spinoza[modifier modifier le wikicode] On appelle idée vraie, celle qui montre une chose comme elle est en elle-même ; fausse, celle qui montre une chose autrement qu'elle n'est en réalité. » Pensées métaphysiques, I, 6, trad. Appuhn, GF, 1964, p. 352 "et l'on dit vrai un récit quand le fait était réellement arrivé; faux quand le fait raconté n'était arrivé nulle part" Hume[modifier modifier le wikicode] Le vrai et le faux consistent en un accord ou un désaccord, soit avec les relations réelles entre les idées, soit avec l'existence et le fait réel. » Traité de la nature humaine Hegel[modifier modifier le wikicode] Il semble que l'on fait consister proprement la possession de la philosophie dans le manque de connaissances et d'études, et que celles-ci finissent quand la philosophie commence. On tient souvent la philosophie pour un savoir formel et vide de contenu. Cependant, on ne se rend pas assez compte que ce qui est Vérité selon le contenu, dans quelque connaissance ou science que ce soit, peut seulement mériter le nom de Vérité si la philosophie l'a engendré ; que les autres sciences cherchent autant qu'elles veulent par la ratiocination à faire des progrès en se passant de la philosophie il ne peut y avoir en elles sans cette philosophie ni vie, ni esprit, ni vérité. » Phénoménologie de l'esprit, Introduction », ed. Aubier-Montaigne, Nietzsche[modifier modifier le wikicode] La vérité comme croyance première de la science De quelle manière, nous aussi, nous sommes encore pieux. — On dit, à bon droit, que, dans le domaine de la science, les convictions n'ont pas droit de cité ce n'est que lorsqu'elles se décident à s'abaisser à la modestie d'une hypothèse, d'un point de vue expérimental provisoire, d'un artifice de régulation, que l'on peut leur accorder l'entrée et même une certaine valeur dans le domaine de la connaissance, — à une condition encore, c'est qu'on les mette sous la surveillance de la police, de la police de la méfiance bien entendue. — Mais cela n'équivaut-il pas à dire ce n'est que lorsque la conviction cesse d'être une conviction que l'on peut lui concéder l'entrée dans la science? La discipline de l'esprit scientifique ne commencerait-elle pas alors seulement que l'on ne se permet plus de convictions?... Il en est probablement ainsi. Or, il s'agit encore de savoir si, pour que cette discipline puisse commencer, une conviction n'est pas indispensable, une conviction si impérieuse et si absolue qu'elle force toutes les autres convictions à se sacrifier pour elle. On voit que la science, elle aussi, repose sur une foi, et qu'il ne saurait exister de science inconditionnée ». La question de savoir si la vérité est nécessaire doit, non seulement avoir reçu d'avance une réponse affirmative, mais l'affirmation doit en être faite de façon à ce que le principe, la foi, la conviction y soient exprimés, rien n'est plus nécessaire que la vérité, et, par rapport à elle, tout le reste n'a qu'une valeur de deuxième ordre. » Nietzsche, Le Gai Savoir, §344. Bibliographie[modifier modifier le wikicode] Textes classiques[modifier modifier le wikicode] PLATON, Théétète, 189a-192c PLATON, La République, livre VI et VII PLATON, Ménon ARISTOTE, De l'Interprétation ARISTOTE, Seconds Analytiques AUGUSTIN, Sur le mensonge ANSELME, De Veritate D’AQUIN, Thomas, De la vérité DESCARTES, Méditations métaphysiques DESCARTES, Recherche de la vérité par les lumières naturelles SPINOZA, L’Éthique MALEBRANCHE, De la recherche de la vérité KANT, Critique de la raison pure KANT, Sur un prétendu droit de mentir NIETZSCHE, Le Gai Savoir Textes récents[modifier modifier le wikicode] RUSSELL, Bertand, Essais philosophiques AYER, Alfred, Langage, vérité et logique TARSKI, Logique, sémantique, métamathématique AUSTIN, John, La Vérité QUINE, La Poursuite de la vérité ENGEL, Pascal, La Vérité Réflexions sur quelques truismes, Paris, Hatier, 1998 Un petit livre clair et instructif, comportant des passages assez denses et hardus qui peuvent rebuter le débutant. RORTY, Richard et ENGEL, Pascal, À quoi bon la vérité ?, Paris, Grasset, 2005 Une confrontation riche entre deux conceptions de la vérité réalisme et pragmatisme. FRANKFURT, Harry G., De l’art de dire des conneries, traduit de l’américain par Didier Sénécal, Éditions 10/18, coll. Fait et cause », 2006 Un livre amusant et sérieux. L'auteur distingue le mensonge du baratin » ou connerie, bullshit en anglais relativement à la notion de vérité. Le menteur entretient un rapport déterminé à la vérité pour mentir, il ne doit pas dire la vérité, ne pas avoir l'intention de la dire, mais cela suppose qu'il admette qu'il y a du vrai. Celui qui dit des conneries n'a en revanche aucun souci de la notion de vérité, raconte n'importe quoi et peut à l'occasion dire la vérité. L'homme politique est un cas exemplaire de baratineur, et, remarque Frankfurt, la volonté d'authenticité apparaît également comme une forme aujourd'hui très répandue de connerie. DOKIC, Jérôme, La Perception Voir la partie sur la connaissance et la perception. Notions liées[modifier modifier le wikicode] Réalité Pensée, Croyance, Jugement, Proposition, Connaissance, Savoir Erreur Véracité, Sincérité, Confiance, Mensonge, Baratin
Livres Les nations et les hommes ont besoin de mythes et de mensonges pour se construire. Ce qui ne veut pas dire que les livres soient des mensonges même si, par définition, une fiction est toujours un mensonge. C’est un mensonge qui touche à la vérité. Paul Auster in La solitude du labyrinthe 1997. En dépit du bon sens, certains lecteurs attendent encore du roman une révélation, pour ne pas dire une vérité qui doit s’entendre ici comme un principe certain qui met le doute en échec, tandis que d’autres, comme Paul Auster, portant pourtant un regard très professionnel sur la littérature d’imagination, continuent à l’associer à des contre-vérités. La fiction ne serait-elle pas plutôt un espace hermétique à la vérité et au mensonge ? S’il existe bel et bien en anglais comme en français un lien de parenté lexicale entre mensonge et littérature, deux mots qui se recoupent dans le vocable de fiction »[i], les écrits ne peuvent être associés à des menteries dans le genre romanesque, du moins sur un plan philosophique. Le bon sens voudrait que l’on se range à l’opinion de Peter McCormick lorsqu’il déclare que l’art du conte, à l’inverse du mensonge, se résume à faire semblant sans chercher à tromper, étant plus proche de la comédie que du faux serment ».[ii] Et ce professeur de philosophie d’ajouter L’écrivain de fiction […] simule la référence parce que la nature des phrases fictionnelles est telle qu’il ne peut faire référence à quoi que ce soit. L’écrivain qui s’exprime dans un récit documentaire entend bien faire référence à quelque chose ; par contraste, l’écrivain de fiction ne fait que simuler cette fonction référentielle ».[iii] Dans son explication, en faisant la distinction entre les catégories documentaire et fiction, McCormick sous-entend que la notion de vérité qui doit s’entendre ici comme le caractère de ce qui s’accorde avec le sentiment de la réalité », in Le nouveau petit Robert est plus pertinente lorsqu’on traite d’un ouvrage documentaire que d’un récit de fiction. Sans entrer dans des considérations linguistiques, Maurice Blanchot fait un constat similaire à celui de McCormick, mais sur une tonalité plus poétique, et soutient que l’artiste n’appartient pas à la vérité, parce que l’œuvre est elle-même ce qui échappe au mouvement du vrai, que toujours, par quelque coté, elle le révoque, se dérobe à la signification, désignant cette région où rien ne demeure, où ce qui a eu lieu n’a cependant pas eu lieu, où ce qui recommence n’a encore jamais commencé, lieu de l’indécision la plus dangereuse, de la confusion d’où rien ne surgit […]».[iv] Cette insistance sur la notion de vérité qui échappe à l’espace littéraire a été reprise par bien des théoriciens de la littérature dont Tzvetan Todorov pour qui les phrases qui composent le texte littéraire ne sont pas plus fausses » qu’elles ne sont vraies ». […] le texte littéraire ne se soumet pas à l’épreuve de vérité, […] il n’est ni vrai ni faux, mais, précisément fictionnel ».[v] Le texte littéraire est donc à inscrire au chapitre de la fiction qui est le mode d’être du non-vrai ou du non-réel – par opposition au faux, au factice, à la contrefaçon et à la contrevérité qui sont antinomiques à l’authenticité, à la vérité. Par conséquent, le lecteur n’a pas plus pour mission de chercher des vérités dans le texte littéraire que le romancier n’a de les enseigner. Parce qu’elle n’est pas réalité, l’œuvre littéraire peut à loisir explorer le champ des possibilités que le monde des vivants ne permet pas. L’œuvre littéraire nous propose un monde de possibles – et on rejoint ici la potentialité explorée par les oulipiens ! – mais elle ne saurait en aucun cas être un monde possible. Elle échappe au mouvement du vrai précisément parce que le romancier fait œuvre d’imagination lorsqu’il affabule ses intrigues, une activité qui le conduit à fabuler. Principe de Vérité et principe de Confiance Pour Blanchot, Le roman est une œuvre de mauvaise foi », à double titre dira-t-on et de la part de celui qui écrit, et de la part de celui qui lit, qui se tiennent tous les deux dans l’espace ambigu de l’imaginaire ».[vi] C’est peu ou prou ce que résume Umberto Eco en évoquant les recherches de John Searle[vii] qui elles font échos aux propos de Blanchot un discours qui perdure depuis plus d’un siècle si l’on remonte jusqu’à Coleridge et sa suspension volontaire d’incrédulité ! Au bout du compte, ce que révèle cette relation contractuelle bilatérale que les théoriciens appellent pacte fictionnel » dans laquelle l’écrivain donne le change et le lecteur accepte la duperie de plein gré, c’est la distinction fondamentale entre le monde réel » et les mondes narratifs », le premier étant gouverné par le principe de Vérité Truth » tandis que les seconds sont régis par le principe de Confiance Trust ».[viii] Dans un autre livre, Sémiotique et philosophie du langage 1988, Umberto Eco remarque que la métaphore ne dit jamais la vérité puisqu’elle transgresse l’ordre de la réalité et procède à une remise en ordre poétique du monde. Sur un mode analogique, on pourrait s’autoriser un parallèle avec le roman, qui comme la métaphore, produit une image résultant d’une construction verbale. Ce que dit Eco dans Sémiotique et philosophie du langage est donc, mutatis mutandis, applicable au statut de la fiction le roman ne dit jamais la vérité puisqu’il transgresse l’ordre de la réalité et procède à une remise en ordre poétique du monde. De l’aveu général, faire des entorses à la vérité est contraire à la déontologie d’un historien et qui étudiera le roman historique se rendra compte des rivalités et des âpres disputes qui font de la littérature et du récit historique deux exercices de style qui ont chacun leurs spécificités. Il serait donc judicieux de mener une étude d’envergure sur le roman historique et la quête de vérité, en examinant les polémiques qui ont agité historiens et romanciers. Dans un même esprit, on gagnerait à analyser un certain nombre de litiges identitaires et de supercheries littéraires afin de savoir si l’on doit tenir les auteurs responsables de leurs entorses qui entravent une prétendue quête de vérité » ou si les lecteurs se rendent coupables d’un procès d’intention en soutenant implicitement l’existence d’une dimension aléthique »[ix] dans l’espace de la fiction. D’autres questions en découleront ces indélicatesses portent-elles à conséquence dans l’espace de la fiction ou n’entament-elles que l’éthique de l’écrivain ? Et la plus importante des interrogations dans quelle mesure ces supercheries parviennent-elles à nous renseigner sur le statut de la fiction ? A la lumière de ces réflexions, on s’aperçoit qu’il y a quelque incongruité pour le lecteur ou le romancier à vouloir se lancer dans une quête de vérité au sein d’un espace qui ne le permet pas. D’où ce fait bien commode qu’en littérature nul romancier ne puisse être coupable d’ignorance. Pour reprendre l’heureuse formulation de Christine Angot dans Une partie du cœur 2004 Le mot chaise n’avait plus quatre pieds, il n’en avait plus qu’un en littérature. Ceux qui lui donnaient quatre pieds c’était leur affaire, l’écrivain n’en était pas responsable. C’était bien pourquoi la responsabilité de l’écrivain n’existait pas. Et la culpabilité encore moins ». Notice biographique Essayiste bilingue, auteur de fiction et chercheur en littérature, Jean-François Vernay a signé plusieurs réflexions littéraires, toutes disponibles en langue anglaise. La séduction de la fiction qui vient de paraître aux éditions Hermann est son quatrième essai par lequel il apporte sa contribution au champ des études littéraires cognitives. [i] Terme qui dans son acception désuète dénote un mensonge » et qui dans le langage contemporain désigne une création de l’imagination, en littérature », similitude que l’on retrouve en anglais avec le dénombrable fictions » et l’indénombrable fiction». [ii] McCormick, Fictions and Feelings », Fictions, Philosophies and the Problems of Poetics Ithaca/London Cornell UP, 1988, 138. [iii] McCormick, Id. [iv] M. Blanchot, L’espace littéraire Paris Gallimard, 1955, 318. [v] T. Todorov, La Notion de littérature Paris Le Seuil, 1987, 13. [vi] M. Blanchot, La Part du feu Paris Gallimard, 1949, 189 cité in D. Hurezanu, Ibid., 53. [vii] Le lecteur doit savoir qu’un récit est une histoire imaginaire, sans penser pour autant que l’auteur dit des mensonges. Simplement, comme l’a dit Searle, l’auteur feint de faire une affirmation vraie. Nous acceptons le pacte fictionnel et nous feignons de penser que ce qu’il nous raconte est réellement arrivé». J. Searle, The Logical Status of Fictional Discourse » New Literary History 14 1975, cité in U. Eco, 1996, 81. [viii] U. Eco, Six promenades dans les bois du roman et d’ailleurs Paris Grasset & Fasquelle, 1996, 95-6. [ix] Dans l’acception que lui donne Roland Barthes dans Qu’est-ce que la critique ? » 1963, à savoir qui relève de la vérité ». Jean-François Vernay Imprimer cet article Commentaires
peut on soutenir que la verité n existe pas